Dans la liste des cinéastes américains d’importance, James Mangold n’est probablement pas celui qui vient le plus instinctivement en tête. Pourtant, c’est un touche-à-tout non négligeable qui a rarement peur de se mouiller et qui fait toujours montre d’un savoir-faire épatant. En pilotant le projet Ford V Ferrari, qui est passé entre plusieurs mains, il le prouve encore de très belle façon.
Il ne faut pas se méprendre, voilà un film américain qui ressasse la poutine habituelle, agite le moule déjà préfabriqué et se titille un peu en rêvant aux cérémonies de prix (avec de tels acteurs, on peut certainement croire aux Golden Globes après tout, si Rush s’y était rendu). Hollywood, quand tu nous tiens: à la manière de Bottle Shock et ses semblables, on part d’un fait cocasse et historique et on relève les déboires d’une rivalité pour nous montrer ce moment où les Américains ont été plus forts que n’importe qui d’autre.
De manière surprenante on évite néanmoins un certain trop-plein de patriotisme et on se concentre davantage sur un combat de type David vs Goliath au sein d’une même entreprise, entre la liberté des esprits créatifs et ceux entêtés des grosses entreprises à cravates. Mieux encore, on mise plus sérieusement sur l’amitié qui a lié la légende qu’est Carroll Shelby au pilote et mécanicien britannique Ken Miles.
Cette nuance change un peu la donne de cette histoire engageante qui ne donne pas nécessairement toute l’importance à la rivalité au coeur du film, reléguant les Italiens de chez Ferrari à des clichés et des stéréotypes rarement sous-titrés et aux allures de mafiosos.
Bien sûr, Mangold aurait peut-être dû participer un peu au scénario que se sont partagées trois têtes capables de belles choses (Fair Game, Edge of Tomorrow) et d’autres certainement plus douteuses, comme Machine Gun Preacher et Spectre, le James Bond que même Sam Mendes a eu de la difficulté à sauver. Il faut ainsi passer au travers d’une première partie qui traîne davantage en longueur, en situant un peu faiblement les contextes et les personnages, de façon volontairement floue comme cette scène d’ouverture ordinaire alourdie par une narration en voix off qui nous rattrapera à la toute fin. La durée de deux heures trente n’est après tout pas entièrement justifiée et on aurait pu resserrer ici et là sans problème.
Sauf qu’il ne faut pas se laisser abattre, qu’on aime ou non la Formule 1 et les voitures, qu’on y connaisse quelque chose ou non, le film finira par prendre le meilleur dessus sur nous et il faudra avouer qu’à son plus fort, le long-métrage sera d’une efficacité redoutable et irrésistible.
C’est que comme à son habitude, Mangold est à son plus fort lorsqu’il s’inspire directement du western et en traitant ses protagonistes comme des cowboys se dirigeant vers le crépuscule, il trouve le meilleur angle pour parfaitement nous convertir à leur cause. Rien, bien sûr, pour atteindre la maestria de son remake de 3:10 to Yuma (où il y faisait un meilleur usage de Christian Bale d’ailleurs), mais plus accompli que son détonnant Logan, qui s’effondrait dans ses dernières longueurs.
Et puis bon, c’est encore joliment filmé par Phedon Papamichael, et le réalisateur continue de redoubler d’efficacité avec son partenaire Marco Beltrami, qui fait ici équipe avec Buck Sanders. Alors que Matt Damon est comme toujours le summum du cool, que Caitriona Balfe s’en tire assez bien avec le seul pendant féminin de l’ensemble, et que Tracy Letts est toujours aussi délectable après avoir finalement percé au grand écran (il était temps!), ici en incarnant nul autre que Henry Ford II. L’ensemble est rarement négatif, toujours fait avec le sourire et avec beaucoup d’humour qui fait mouche pour nous conquérir.
Certes, il ne faut pas miser sur la subtilité (il y a bien un gag de flatulence qui s’est incrusté à l’ensemble) et le méchant est terriblement affreux (certainement pas un hasard qu’on ait offert le rôle à une tête de turc comme Josh Lucas), sauf que le plat de résistance est saisissant.
Celui-ci, c’est la fameuse course des 24 heures du Mans de 1966 en France. Reconstitué avec une minutie maladive (on a tourné dans de nombreux lieux pour assurer la ressemblance visuelle peu importe les difficultés que cela impliquait en terme de raccords), misant sur une excellence du montage, du rythme et du travail sonore, on est carrément subjugué par tout le segment qui composerait d’une certaine manière le fameux « stand-off » final du western imaginaire proposé ici par Mangold. Un bon 30 minutes qui nous rive à notre siège sans mal et nous en donne carrément pour notre argent.
Ford V Ferrari est donc un divertissement grand public formaté, oui, et pas le plus ambitieux, non. Sauf qu’il s’écoute avec beaucoup de facilité et fait du bien, avec ce petit quelque chose de beau sur la fougue et la passion qui ne passe pas nécessairement par le succès, mais bien dans ce savoir que le rêve un peu trop fou est peut-être possible, comme Moneyball avait si bien su le faire.
8/10
Ford V Ferrari prend l’affiche en salles ce vendredi 15 novembre avec des représentations le jeudi 14 novembre.