En la présence bienveillante de trois de ses comédiens, dont son co-scénariste Alexis Manenti, le foudroyant film Les Misérables a continué son parcours jusqu’ici sans failles au festival Cinémania à Montréal pour marquer son public de sa puissance. Nous en sommes certainement reconnaissants.
Il ne faut pas penser que le plus récent prix du Jury du festival de Cannes suit les pas de Sophie Deraspe et de son Antigone. Bien que les deux ont été fièrement retenus par leur pays d’origine pour les représenter dans la prochaine course aux Oscars, Ladj Ly et ses collègues n’ont pas eu envie de se réapproprier la grande fresque et oeuvre de Victor Hugo pour la moderniser.
Certes, le titre n’est pas choisi au hasard, et l’ombre de Hugo plane sur tout le long-métrage. Cette référence est cependant judicieusement employée pour se référer au lieu, Montfermeil, mais également à l’essence sociale qui s’en dégage, plutôt qu’à son histoire (narrative et non celle avec un grand « h ») ou à ses personnages.
Frappant, rythmé de la même révolte qui animait le tout aussi brillant Synonymes, Les Misérables part à plus grande échelle pour s’armer d’une union, celle suivant une victoire de foot, mise en contexte idéale pour ensuite s’enfermer dans son bled (duquel est véritablement originaire le créateur qui a ici adapté son propre court-métrage ) et commencer sa division. Diviser pour mieux régner, qu’ils disent? Une chose est certaine, d’ici sa fin dont personne ne sort indemne, c’est son public qu’il aura conquis.
Oui, bien sûr, les inspirations sont nombreuses et on est certain qu’il ne s’en cache d’aucune, mais si dans sa construction on pense à un Dheepan dénué de la poésie distinctive de Jacques Audiard, l’œuvre de Ly est des plus viscérale. De Training Day à La Haine, en passant par Polisse et tous les autres, on nous convie à une incursion immersive sans concession dans un quotidien qui n’épargne personne.
Notre avatar, sous les traits du très juste Damien Bonnard, c’est Stéphane, le petit nouveau évidemment idéaliste venu de l’extérieur qui va essayer de mettre en pratique ce qu’il a appris en réalisant que ce n’est pas toujours commode dans les circonstances auxquelles il fait face. Avec aisance, on l’utilise sans mal pour situer le spectateur et lui permettre d’avoir un point d’ancrage au travers de tout ce chaos et cette cacophonie.
C’est que, comme on s’en doute, ce n’est pas de tout repos dans le bled, et il serait facile de perdre pied avec toutes ces gangs, ces alliances, ces rivalités et ces écarts d’âge et de visions qui menacent d’éclater à chaque instant.
Sauf que l’efficacité de l’ensemble est redoutable et on est rapidement investi, en plus d’être toujours plus captivé à chaque seconde qui nous fait avancer dans le récit. Les très nombreux revirements aidant à garder le rythme et à nous empêcher bien souvent de souffler, surtout avec cette caméra toujours braquée avec brio (pour une fois que les plans de drones ont leur raison d’être narrative!) et ce montage réglé au quart de tour.
Mieux, le film fait montre d’un véritable doigté dans sa manière de jouer avec son spectateur par le biais de ses personnages. S’amusant grandement avec leurs fonctions et leurs positions, il fait constamment tournoyer notre opinion sur l’un et l’autre brouillant toujours plus les pistes de nos jugements. Où se trouvent le bien et le mal? Ceux qui ont torts et ceux qui ont raisons? Sous ses airs dénonciateurs et son approche frontale, la proposition de Ly est fort heureusement beaucoup plus nuancée qu’on pourrait s’attendre et c’est décidément tout à son honneur.
Et puis tous les acteurs sont excellents, l’énergie qui se dégage irrésistible et l’impact aussi dérangeant qu’il le souhaiterait. Pas toujours subtil, on en convient, à l’inverse de son assurance, mais fignolé avec un soin franchement abasourdissant, surtout pour un premier long-métrage de fiction.
Bien sûr, loin de nous le désir d’en brûler les surprises et ce qui s’y passe, tellement on est face à une œuvre d’actualité nécessaire, fascinante et appréciable pour les cinéphiles, mais on sera des plus motivés à en parler et en débattre avec quiconque aura été allumé du même feu de passion que celui duquel le film nous emplit.
Du grand art qui divertit, fait rire, surprend, épate et ne laisse en aucun cas de glace. À voir de toute urgence.
9/10
Les Misérables doit prendre l’affiche en salles au Québec via TVA Films en janvier prochain. La date reste à confirmer.