Il aura fallu dix ans avant que Mariloup Wolfe retourne derrière la caméra pour le grand écran. Un choix judicieux, puisqu’elle a certainement pris de l’assurance, et que Jouliks est beaucoup plus agréable à regarder que Les pieds dans le vide. Dommage, toutefois, qu’elle se retrouve à nouveau avec un scénario qui l’alourdit constamment.
La discrétion de Wolfe devant l’écran et son raffinement de réalisatrice dans le cadre de nombreuses téléséries lui ont certainement été bénéfiques, puisque la voilà qui maîtrise de belle façon la technique. Son long-métrage est tour à tour élégant, compétent et recommandable. Mieux, sa reconstitution d’époque est juste et sensible, réussissant là où par exemple Louis Bélanger a récemment échoué.
Les éloges s’arrêtent toutefois ici. Certes, on comprend d’avoir voulu laisser Marie-Christine Lê-Huu adapter sa propre pièce à l’écran. Certains y arrivent très bien; on pense à Gillian Flynn qui a considérablement magnifié son roman Gone Girl, sauf que dans le cas qui nous intéresse, Wolfe tombe de nouveau dans le piège d’un scénario entièrement laissé à une comédienne qui n’a pas beaucoup d’expérience en scénarisation. Le résultat s’en ressent, puisque l’ensemble demeure immensément sur-écrit, décidément trop littéraire, pris avec la vision d’une réalisatrice qui essaie de se faire sa propre version tout en voulant rester au plus près du matériel qu’on lui a offert. Beaucoup de maladresses au menu, donc.
Bien sûr, il y a une beauté bouleversante dans cette histoire d’amour, de famille et d’interdits découlant de cette relation entre un gitan et une femme caucasienne, mais les raccourcis sont immenses et on sent un grand désir de se faire un Atonement québécois, sans pour autant en avoir l’expertise ou même les comédiens, alors que malgré son look, Jeanne-Roux Côté demeure une bien piètre Keira Knightley.
Bien que charismatique, la jeune Lilou Roy-Lanouette tape rapidement sur les nerfs, surtout avec sa narration en voix off qui n’en finit plus de tout souligner à gros traits avec une « poésie » qui n’a pas l’effet de beauté escompté.
Victor Andres Turgeon-Trelles, qu’on a vu plus inspiré, arrive difficilement à nuancer son rôle plutôt ingrat, alors que Christiane Pasquier se retrouve à défendre l’indéfendable avec un personnage si immonde qu’il en devient vite caricatural. Au milieu du déluge se trouve au moins Michel Mongeau, qui se présente comme la voix de la raison et aisément la voix du spectateur, qui ne se fait pas monter un bateau aussi aisément que tous les personnages du film.
C’est que tout est trop gros. Le regard des Blancs sur les jouliks, le regard des jouliks sur les Blancs, la réflexion sur le christianisme, le message sur la liberté et le débat sur l’éducation et les institutions, etc. C’est d’autant pire que le film essaie de se placer en terrain neutre et veut donner une voix à tous les côtés, sans donner tort ou raison à qui que ce soit, se retrouvant du même coup à critiquer tout le monde sans conclusion. Humble, peut-être comme approche, mais un peu vide au final.
Surtout que l’ensemble s’étire sur deux heures, en insistant sur cette romance qui fonctionne plus ou moins et en n’étant jamais trop clair sur ses critiques des mœurs des uns et des autres. Bien sûr, beaucoup resteront marqués par la cruauté frappante de la fin de l’oeuvre et les délicates mélodies de Jean-Phi Goncalves, mais cela demeure insuffisant pour justifier l’ensemble qui n’arrive jamais vraiment à convaincre, du moins sur le plan narratif.
Reste un film efficace qui, tout en demeurant près de ce regard d’enfant qui semble tapisser notre filmographie, apporte un peu de fraîcheur de par son intérêt à l’autre et cette manière de traiter d’une autre époque par le retrait plutôt que par une position beaucoup plus évidente, ou ancrée dans des faits historiques beaucoup plus familiers.
5/10
Jouliks prend l’affiche en salles ce vendredi 1er novembre.
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