Cligner des yeux nécessite un délai d’un dixième de seconde, mais cela représente déjà une éternité sur les marchés boursiers contemporains, où les transactions sont calculées en millionièmes de seconde. Selon un chercheur de l’Université de Colombie-Britannique, toutefois, il serait possible d’améliorer ces plateformes boursières en apportant une petite modification pour… ralentir les échanges financiers.
Si les transactions boursières ont toujours comporté un élément de vitesse, généralement pour acquérir un avantage concurrentiel sur les autres participants du système, la mise au point des échanges à haute vitesse, depuis une quinzaine d’années, a véritablement révolutionné le secteur, au point où des investisseurs peuvent faire fortune en achetant et en vendant des titres en de très courts laps de temps.
Certains craignent que cette stratégie, appelée « arbitrage », qui implique d’acheter et de vendre simultanément pour tirer profit de minuscules différences entre les prix, puisse affecter l’état de santé des marchés.
La solution? Pour les chercheurs de la UBC Sauder School of Business et de la Kellogg School of Management, il faut mettre en place un dos d’âne virtuel.
« Il y a deux choses qui sont importantes pour les gens en bourse: la liquidité et la valeur informative des prix. La liquidité se produit lorsque les coûts de transaction sont réduits – si j’achète quelque chose que je vends immédiatement après, combien d’argent vais-je perdre? Si c’est un petit montant, alors le marché est favorable », mentionne Markus Baldauf, professeur adjoint à la Sauder School et coauteur de l’étude.
« Si cette différence est importante, alors le marché n’est pas liquide et c’est une mauvaise chose », précise-t-il. « Nous voulons également que les prix reflètent la réalité, ainsi que la valeur des entreprises, parce qu’ils sont un baromètre de l’état de santé de l’économie. »
Pour tester l’impact des échanges à haute fréquence sur ces mesures, M. Baldauf a utilisé un modèle mathématique qui permet de s’intéresser à la liquidité, ainsi qu’à la valeur informative des prix.
Les fournisseurs de liquidités proposent d’acheter et de vendre simultanément des actions, ce qui permet d’obtenir l’écart entre le prix le plus élevé qu’un acheteur est prêt à payer et le prix le plus bas auquel un vendeur est prêt à céder ses titres. Lorsqu’ils établissent leurs offres et leurs prix, ces fournisseurs cherchent à trouver un équilibre entre le besoin de vendre et celui d’acheter, en plus de leurs propres risques de se retrouver du mauvais côté d’une transaction, et ainsi de perdre de l’argent.
Par la suite, ces fournisseurs de liquidités se dépêchent d’ajuster leurs prix en fonction de nouvelles informations. Mais au même moment, les responsables des transactions dites d’arbitrage tentent d’obtenir le prix de base offert au départ. Tout cela se produit en quelques millisecondes.
Pour se protéger contre les risques de perdre cette course financière, les fournisseurs de liquidités imposent une plus grande différence entre le prix de vente et le prix d’achat. En d’autres mots, l’application d’une stratégie d’arbitrage rend les marchés moins liquides. Cela peut également réduire la valeur informative des prix.
Afin de réduire l’impact de la stratégie d’arbitrage, les chercheurs proposent d’imposer un court délai dans le traitement des transactions, ce qui torpille les stratégies de transactions s’appuyant sur une vitesse particulièrement élevée, histoire de réaliser de petits profits à de multiples reprises. Cela permettrait également aux boursicoteurs « ordinaires » d’effectuer des transactions.
« Nous prenons souvent les règles et normes boursières comme étant quelque chose de coulé dans le béton, mais nous pouvons bel et bien les changer. Il en revient aux législateurs et aux régulateurs de se demander s’il faut modifier les règles du jeu », mentionne M. Baldauf, avant de préciser que les marchés évoluent, à l’image des langages.
« Nous estimons qu’un petit changement apporté au système en place peut entraîner de grandes transformations, et que les investisseurs réguliers en sortiront avantagés. »