L’heure est à la contestation. La contestation du système démocratique, du masculinisme toxique, de l’économie capitaliste, de la vie – avec ou sans V majuscule –… Bref, il faut dénoncer, et Contre la suite du monde, présenté à La Chapelle, n’érige jamais de moulin à vent sans lui donner la charge tout de suite après.
Création de Jean-François Boisvenue et de Claire Renaud, Contre la suite du monde est-il un pamphlet? Un cri du coeur? Un coup gueule? Dans ce décor de plateau de jeu télévisé poussé à l’extrême, vitres sans tain incluses et alarmes sonores et visuelles dès que les « participants » franchissent les limites du territoire défini par une autorité que l’on ne voit jamais – clin d’oeil non subtil aux « maîtres secrets » de notre société, hélicoptères noirs en moins –, le public assiste à une mise à un déversement de fiel organisé, calculé, minuté.
Tout y passe; après tout, la colère semblait venir de loin. Une pulsion sourde qui couvait depuis des années, et ce ne sont définitivement pas les 10 minutes passées dans l’isoloir, histoire de cocher un nom sur un bulletin de vote, qui permet de faire sortir le méchant.
Pendant 90 minutes, donc, on vogue d’un thème à l’autre, parfois en tombant dans le psychédélique, parfois en utilisant l’un ou l’autre des nombreux accessoires éparpillés sur scène. Parfois, ou souvent, plutôt, en brisant le quatrième mur et en s’adressant directement aux spectateurs. Car en plus d’être le public cible, cette classe sociale suffisamment confortable pour vivre dans une sorte de boule de ouate, où il est de bon ton de s’énerver de temps en temps, mais pas de véritablement ébranler les colonnes du temple, le message porté par les trois personnages leur est directement adressé.
Mais quel message, au juste? Celui qu’il faut déconstruire le capitalisme pour rebâtir une société plus juste? Celui qu’il est essentiel de lutter férocement contre les agressions sexuelles, mais aussi contre la résignation des femmes? Celui que politique et médias oeuvrent parfois main dans la main pour attiser la haine, tout en encourageant l’apathie électorale? Celui que les règles orthographiques et grammaticales de la langue françaises sont (trop) complexes? À trop vouloir tirer sur tout ce qui bouge et à cibler l’ensemble de la société contemporaine, le message porté par les trois interprètes en devient forcément dilué, quand il ne devient pas carrément morcelé, éparpillé aux quatre vents.
On pourrait certainement affirmer que Contre la suite du monde adopte ici une approche à deux niveaux, en poussant sa réflexion plus loin: en critiquant tout, vient-on critiquer l’acte de critiquer en soi? Si tel est le cas, l’oeuvre multiplie les pistes de réflexion et mène à un exercice cognitif que l’on retrouve dans beaucoup trop peu de pièces de théâtre. Qu’il s’agisse ou non des véritables intentions des créateurs, force est d’admettre que l’oeuvre fait réfléchir. À méditer avant, pendant, et bien sûr après la pièce.
Contre la suite du monde, de Jean-François Boisvenue et Claire Renaud, à La Chapelle, jusqu’au 2 novembre.