Des chercheurs ont fait récemment beaucoup parler d’eux en concluant qu’il n’est pas vraiment nécessaire de réduire sa consommation de viande rouge ou de charcuteries pour prévenir cancers et maladies du cœur —ce qui va pourtant à l’encontre des recommandations en vigueur depuis des années. Que doit-on en comprendre?
L’origine de la controverse
Après avoir réexaminé des dizaines d’études, ces chercheurs provenant de sept pays ont conclu que le risque potentiel de maladies cardiovasculaires et de cancers est faible et les preuves, incertaines. L’équipe conseille donc aux adultes de maintenir leur consommation actuelle de viande rouge et de charcuteries, en s’appuyant sur la prémisse qu’on en consomme en moyenne trois ou quatre portions par semaine en Amérique du Nord et en Europe. Comme c’est une moyenne, cela signifie que certains en mangent tous les jours.
Leurs conclusions, parues sous la forme de quatre articles (accompagnés d’un éditorial) dans la revue Annals of Internal Medicine, ont créé une véritable commotion dans les milieux scientifiques puisqu’elles vont à l’encontre des recommandations actuelles qui sont de limiter la consommation de viande rouge et de viandes transformées, considérées respectivement comme « cancérogène probable » et « cancérogène » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence de l’Organisation mondiale de la santé. Le CIRC recommande au maximum 500 g de viande rouge par semaine.
Question d’interprétation
Comment expliquer ces divergences? Le problème vient en partie de l’interprétation des résultats.
Autant les auteurs de cette étude que ceux qui recommandaient de diminuer la consommation de viande rouge et de charcuteries utilisent les mêmes chiffres, mais ils n’en tirent pas les mêmes conclusions. Les auteurs des articles des Annals of Internal Medicine estiment que l’effet est mal démontré et que s’il existait, il serait faible puisqu’ils jugent que les études épidémiologiques menées en nutrition ont un niveau de qualité faible.
Ils ont tout de même trouvé que ceux qui consomment plus de viande rouge ou transformée (l’étude ne fait pas de distinction entre les deux) sont en moyenne en moins bonne santé que ceux qui en mangent moins. Par exemple, ils estiment que de manger trois portions de viande rouge de moins par semaine diminue de 1 à 6 cas par 1000 personnes de diabète de type 2 ou de problèmes cardiovasculaires. Pour les viandes transformées, on parle de 1 à 12 cas de moins par 1000 personnes.
Pour le cancer, manger trois portions de viande rouge de moins par semaine abaisserait la mortalité de 7 morts pour 1000 personnes, ce que les chercheurs considèrent comme une baisse trop faible pour recommander aux adultes de diminuer leur consommation.
Les experts en santé publique et des organisations de lutte contre le cancer ne contestent pas les résultats. Mais ils croient que toute réduction de risque, aussi infime et incertaine soit-elle, peut faire une grosse différence à l’échelle de la population mondiale. Pour des maladies aussi répandues que le cancer, les problèmes cardiaques et le diabète, une petite baisse peut se traduire par des dizaines de milliers de malades ou de morts en moins (voir l’exercice statistique dans cet article du Détecteur de rumeurs).
La nutrition: un terrain difficile pour les études
La controverse met aussi en évidence les difficultés de mener des études en nutrition. Dans le milieu de la santé, les études les plus fiables sont celles dites randomisées en double aveugle: cela signifie que les participants sont séparés en deux groupes, dont un reçoit le traitement que l’on veut tester, et l’autre reçoit un placebo. Personne ne sait à quel groupe il appartient. On compare ensuite les résultats pour chaque groupe.
Le problème est qu’en nutrition, ce type d’étude est impossible à mener ou, du moins, coûterait très cher. Imaginez, par exemple, soumettre 1000 personnes à un régime végétarien et autant à un régime de viande rouge pendant des années afin de comparer les impacts sur la santé. Qui plus est, il serait impossible de cacher aux participants ce qu’ils mangent.
La plupart des études sur l’alimentation sont donc observationnelles. En général, les participants remplissent un formulaire sur ce qu’ils ont mangé la veille. Ce qui implique des risques d’erreurs: mémoire défaillante, volonté de bien faire, etc. Par la suite, les chercheurs observent les participants et évaluent leur état de santé pendant 5, 10 ou 15 ans. Toutefois, ce type d’étude permet difficilement de démontrer une relation de cause à effet entre leur alimentation et un changement sur leur santé. Les résultats sont donc jugés moins fiables.
On en mange moins, ou pas?
Malgré ces limites, les études observationnelles demeurent la meilleure façon de faire des études nutritionnelles, insiste la nutritionniste Marie-Josée LeBlanc, chargée de cours à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.
Comme plusieurs de ceux qui ont réagi vivement à l’étude des Annals of Internal Medicine, elle ne conteste pas les résultats, mais craint que cette étude n’ait un impact négatif sur les comportements des gens: « c’est irresponsable de leur part de faire de telles recommandations, ajoute-t-elle. Les auteurs parlent de maintenir sa consommation de viande rouge et de charcuteries et parlent de trois à quatre fois par semaine, alors que ce n’est pas la consommation de tout le monde. Certains en mangent tous les jours. Ça ne veut alors plus dire la même chose et ça risque d’être mal compris. Sans compter qu’ils ne font pas de distinction entre la viande rouge et les viandes transformées, alors qu’on sait que ces dernières présentent plus de risques pour la santé. »
Et c’est sans compter ceux qui ont souligné les impacts environnementaux de la consommation de viande rouge.
Au final, qu’il s’agisse de maintenir ou de diminuer sa consommation de viande rouge ou de charcuteries, les deux groupes arrivent donc à des conclusions similaires. La viande rouge a sa place dans notre assiette environ trois fois par semaine et la charcuterie devrait être consommée avec modération.
Ce sont d’ailleurs les recommandations du Guide alimentaire canadien, de la Société canadienne du cancer et de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC.