Dans le procès contre la multinationale du pétrole Exxon, qui doit commencer mardi à New York, la compagnie est accusée d’avoir trompé ses investisseurs sur les risques financiers liés aux changements climatiques. Ça semble être une question d’ordre administratif ou monétaire mais en réalité, c’est une question tout ce qu’il y a de scientifique.
La plainte, qui avait été déposée en octobre 2018 par le procureur général de l’État de New York au nom de millions d’investisseurs américains lésés par cette fraude présumée, s’inscrit dans une tendance des dernières années: des individus ou des communautés ont demandé aux tribunaux, sans succès jusqu’ici, l’autorisation d’intenter une poursuite contre une ou des pétrolières. Or, ces poursuites ne visent pas seulement à blâmer les compagnies pétrolières pour leur « responsabilité » dans les dégâts causés par les changements climatiques: ces poursuites utilisent plutôt une voie détournée, celle de la dissimulation d’information. Que savaient les compagnies pétrolières quant aux risques, et qu’ont-elles délibérément caché.
Dans le cas particulier d’Exxon, c’est encore plus pointu: que savait-elle, au début des années 2010, des risques posés par la volonté croissante des gouvernements de mettre un coût sur les émissions de gaz à effet de serre? Par exemple, une taxe sur le carbone pourrait-elle amener les citoyens à réduire leur consommation de pétrole ? Les pressions combinées des gouvernements et des écologistes pourraient-elles obliger à limiter les nouveaux forages de pétrole? À quel moment un « investissement dans le carbone » devient-il risqué, après avoir été profitable pendant plus d’un siècle?
Il s’avère, selon ce que la poursuite compte déposer en preuve, que depuis au moins 2013, Exxon a utilisé une méthode de calcul de ce que serait le coût du carbone sous des politiques du climat « plus sévères ». Et que cette méthode de calcul qu’elle présentait à ses actionnaires était délibérément plus optimiste… que la vraie estimation que faisait Exxon en privé. Concrètement, révélait la semaine dernière le magazine Inside Climate News, cela signifie que les prévisions de croissance à long terme de la production de pétrole que faisait Exxon, étaient basées sur des chiffres délibérément biaisés, ce qui avait pour effet de gonfler la valeur de la compagnie, sans faire part aux investisseurs des risques à long terme: et nulle part n’est-ce plus évident, écrit le magazine, qu’avec les « énormes » investissements d’Exxon dans les sables bitumineux de l’Alberta, investissements « qui représentent maintenant 30% des réserves de la compagnie ».
« Les sables bitumineux remplissent tous les critères d’une propriété de carbone à haut risque », ce qui est d’ailleurs une raison pour laquelle d’autres compagnies ont cessé de s’y intéresser: ils sont coûteux à extraire, désastreux pour le marketing et difficiles à exporter dans un contexte où la construction de pipelines n’a pas la cote au Canada. Il faut savoir, de surcroît, que tout investissement pour sortir du nouveau pétrole du sol ne se matérialise en profits qu’après une dizaine d’années.
De sorte que dans la décennie 2010, il est devenu impossible aux compagnies de ne pas intégrer dans leurs coûts le facteur de « risque climatique »: plus de 200 des plus grandes compagnies de la planète rapportaient plus tôt cette année avoir inscrit dans leurs colonnes 1000 milliards$ pour les 5 prochaines années, par exemple sous la forme de centrales au charbon qui devront être mises à la retraite prématurément. Il est possible que le procès de New York apprenne au public que les réserves de sables bitumineux d’Exxon auraient dû être transférées dans cette colonne, si Exxon avait été honnête dans son calcul des futurs coûts du carbone. Une idée similaire avait été évoquée dès 2016 par la pétrolière canadienne Suncor.
En août dernier, le procureur général de l’État de New York accusait Exxon de « tenter de décourager d’éventuels témoins à venir témoigner » sur ses stratégies d’investissement en regard des changements climatiques.
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