La 43e campagne électorale fédérale canadienne aura débuté avec des attaques partisanes… et aura pris fin avec des attaques partisanes. Alors que 27 millions de Canadiens sont appelés à s’exprimer, lundi 21 octobre, les deux principaux partis en lice pour former le gouvernement, le Parti libéral (PLC) et le Parti conservateur (PCC), sont nez à nez dans les intentions de vote, après avoir consacré une bonne partie des 41 derniers jours à s’attaquer mutuellement.
« Pas fiable », « menteur », « menace pour les droits des femmes », « compressions difficiles à venir »… Les chefs libéral et conservateur, Justin Trudeau et Andrew Scheer, ont longuement échangé des piques et des critiques, parfois même de vives remontrances, au cours de cette campagne. Pour M. Trudeau, qui tente d’obtenir un deuxième mandat pour ses troupes et son gouvernement, et dont l’avance confortable du début de campagne s’est largement effritée, une victoire conservatrice équivaudrait au retour des années Harper, avec ses compressions et son idéologie de droite, qu’il avait justement remplacée en remportant une large majorité en 2015.
Pour M. Scheer, l’accumulation des déficits sous le gouvernement Trudeau – le retour à l’équilibre budgétaire n’est pas envisagé pas les libéraux, pour l’instant, eux qui plaident que le taux de dette par rapport au PIB a diminué, ce qui rend la dette plus facile à gérer –, ainsi que la multiplication des manquements à l’éthique et des scandales qui ont entaché les quatre dernières années, justifient l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire.
Le chef du PCC promet ainsi un retour à l’équilibre budgétaire en cinq ans, ce qui comprendrait un gel de l’embauche dans la fonction publique, l’élimination de diverses mesures libérales, dont la taxe carbone, ainsi qu’un étalement des investissements en infrastructures, entre autres promesses détaillées dans le plan financier conservateur, dévoilé en fin de campagne. On y promet plus de 60 milliards en compressions et nouveaux revenus, sans toutefois faire la lumière sur ce qui serait retranché, permettant aux libéraux d’évoquer « 53 milliards de coupes » en cas de gouvernement conservateur.
De son côté, Justin Trudeau ne disposait plus de l’aura de jeune premier, comme en 2015, et a dû défendre un bilan parfois mitigé, y compris dans l’affaire SNC-Lavalin, qui lui a coûté deux ministres, ainsi que le controversé dossier de l’oléoduc Trans Mountain, qui a suscité la colère des environnementalistes, mais aussi des Albertains. L’élection de nombreux gouvernements conservateurs dans les diverses provinces du pays, depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux fédéraux en 2015, a aussi contribué à la formation d’un front commun contre le PLC, notamment en ce qui concerne la taxe carbone, qui est toujours contestée en cour.
Des oppositions revigorées
Autre menace à la réélection du gouvernement libéral: le Bloc québécois, que l’on disait mort et enterré après la traversée du désert entamée en 2011 après la vague orange du Nouveau Parti démocratique au Québec, a repris du poil de la bête sous l’égide du nouveau chef, Yves-François Blanchet.
Débatteur expérimenté, M. Blanchet, qui a replongé en politique après plusieurs années à l’émission Les EX, à RDI, a consacré l’ensemble de la campagne à vanter la nécessité d’élire un parti qui se porterait à la défense des intérêts du Québec. Il s’agit du message traditionnel du Bloc, mais après les déchirements internes quant à la nécessité, ou non, de promouvoir la souveraineté du Québec, sous Mario Beaulieu et Martine Ouellet, M. Blanchet a adopté de nombreuses prises de position du gouvernement Legault.
Il a ainsi défendu bec et ongles la loi sur la laïcité face à des chefs fédéraux souvent incapables de se prononcer sur une possible intervention d’Ottawa, ou qui ne voulaient pas risquer de perdre leurs appuis au Québec. En défendant ce « nationalisme décomplexé » de la Coalition avenir Québec, le Bloc a vu sa cote de popularité largement remonter, notamment à la suite des débats des chefs, où M. Blanchet a su faire défendre ses positions sans s’enfarger dans l’une ou l’autre des langues officielles, contrairement à plusieurs de ses adversaires.
Du côté du Nouveau Parti démocratique (NPD), qui était donné pour mort, en totale débandade après la défaite de 2015 et l’élection du chef Jagmeet Singh, le fait de livrer une campagne positive, bien loin des attaques entre libéraux et conservateurs – en plus d’avoir des candidats ayant évité les scandales – a fini par payer: alors qu’on lui prédisait à peine 14 ou 15 députés en début de campagne, selon la plateforme 338Canada, voilà que les sondages évoquent une trentaine, voire une quarantaine de députés au lendemain du 21 octobre. Peu de gains, bref, mais pas d’effondrement.
Il y a cependant fort à parier que le NPD disparaîtra largement du paysage politique du Québec, alors que ses appuis devraient augmenter en Ontario et en Colombie-Britannique. La vague orange de 2011, qui s’appuyait largement sur de très importants gains au Québec, semble bel et bien terminée.
Majoritaire? Minoritaire?
Les sondages le disent: le prochain gouvernement a de très fortes chances d’être minoritaire. Une situation similaire était survenue à plusieurs reprises, au début des années 2000, alors que les libéraux, puis les conservateurs avaient gouverné en ayant besoin de l’appui des autres partis.
Cette fois, cependant, il est fort possible que le PLC ou le PCC aient besoin du NPD et du Bloc québécois pour s’assurer d’obtenir une majorité aux Communes. Pour les libéraux, cela voudrait dire devoir orienter le programme encore plus à gauche, en plus de devoir négocier des avantages pour le Québec à certaines occasions.
Pour les conservateurs, toutefois, la tâche serait bien plus complexe: aucun des trois autres principaux partis ne porte le PCC dans son coeur, et toute négociation serait sans doute plus ardue. En cas de courte victoire conservatrice, il existe aussi la possibilité que le gouvernement libéral sortant demande à la gouverneure générale de pouvoir tenter sa chance afin d’obtenir une majorité. Il y aurait ensuite négociations avec le NPD et le Bloc pour tenter de former un gouvernement stable; Andrew Scheer a d’ailleurs consacré les dernières journées de la campagne à mettre les électeurs en garde contre une coalition PLC-NPD qui serait « ruineuse », selon lui.
Peu importe les résultats de lundi soir, il se peut fort bien que la joute électorale se poursuive le 22 octobre au matin, cette fois dans les corridors du Parlement, à Ottawa.
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