Figure emblématique de l’humour et des personnalités afro-américaines, Eddie Murphy est passé à deux doigts de remporter un Oscar il y a plus d’une décennie. Depuis, sa carrière n’a plus vraiment rien eu à présenter de recommandable, ce qui crée certainement un intérêt non-négligeable de le voir à la tête d’un projet biographique potable avec Dolemite is My Name. Dommage que la proposition s’empêtre dans ses propres pieds au fur et à mesure qu’elle avance.
C’est l’effet The Disaster Artist, alors qu’on romance l’amour du cinéma et de l’art bricolé fait avec plus de cœur que de talent. Non, ce n’est pourtant pas la prémisse de base, mais c’est indubitablement vers cela que ce dirige le plus récent film de Craig Brewer (de retour à la culture afro-américaine sur grand écran après Hustle & Flow et de nombreux épisodes de la télésérie Empire), surtout considérant le titre et cet intérêt pour la naissance du personnage de Dolemite dans les années 70.
Le film veut en fait relater la vie de Rudy Ray Moore, un entrepreneur ambitieux prêt à tout pour atteindre le succès qui s’est avéré pionner sur de nombreux fronts et, d’abord et avant tout, un homme du peuple et de sa communauté.
L’ensemble est léger, conventionnel, rassembleur et amusant. Il réunit une palette irrésistible de comédiens, et Eddie Murphy, également parmi les producteurs, se met grandement en vedette, tout en semblant avoir un plaisir évident de faire partie du projet. Mieux, Wesley Snipes y trouve probablement le rôle de sa carrière en éclipsant tout le monde sur son passage à chacune de ses apparitions, en incarnant de manière hilarante D’Urville Martin.
Accrocs
Toutefois, plus le film avance et plus certains trucs semblent clocher. Certes, personne ne ressemble vraiment à celui ou celle qu’il a incarné, mais c’est loin d’être le plus grand souci.
Bien sûr, il y a une réflexion un peu boiteuse sur la force de l’art pour le peuple versus celui des critiques, tout comme le contrôle et le pouvoir étouffant des gros studios d’Hollywood, ce qui semble fonctionner comme un double discours face à l’importance que semble s’accorder Netflix dans le débat. Il y en a aussi une, plus méta encore, qui semble s’adresser directement à la carrière d’Eddie Murphy, en forçant un questionnement sur la difficulté de devenir une star de cinéma face à la facilité de seulement faire rire et de s’en tenir au stand-up.
Il y aussi ce regard problématique sur les laissés-pour-compte et les sans-abris (on leur vole leurs histoires et leur logis sans y revenir), mais encore là, ce n’est pas ce qui pose le plus problème.
En fait, on se surprend à ne pas trouver, dans le scénario de Scott Alexander et Larry Karaszewski, ce petit je-ne-sais-quoi qui avait fait de Ed Wood un film aussi merveilleux, dont la thématique était après tout grandement similaire. Bien sûr, le réalisateur n’est pas Tim Burton et l’exécution est particulièrement générique, mais plus on avance et plus on se questionne sur le développement de l’ensemble.
Après tout, quand on commence à parler de cinéma et des difficultés reliés, les rires sont de plus en plus faciles et le discours de moins en moins approfondi. On multiplie les comparaisons entre la culture afro-américaine et celle « blanche » dans un procédé répétitif qui finit par lasser.
C’est probablement à ce moment qu’on découvre que n’en déplaise à tous ceux qui se pavanent à l’écran, tous les responsables la création du film sont entièrement ou presque caucasiens. Des scénaristes au réalisateur en passant par le compositeur, la majorité des producteurs ou même le directeur photo et on en passe, l’équipe n’est définitivement pas très colorée.
Non pas que cela soit un problème et qu’on doit admettre que la représentation de l’époque et du milieu est fait avec beaucoup d’attention (notamment cet hommage à la blaxploitation), mais ce regard provenant de l’extérieur semble néanmoins donner beaucoup trop souvent dans la caricature et pas toujours dans une qui semble volontaire. On pense d’ailleurs à tous ces films fictifs auquel Tracy Jordan participait, le personnage semi-fictif de Tracy Morgan dans la télésérie 30 Rock, ce qui n’est pas nécessairement bon signe comme comparatif immédiat.
Dolemite is My Name, malgré le bon moment qu’il fait passer, est donc rapidement oubliable, tout en laissant un goût amer en bouche. Un crowd-pleaser qui se tourne trop souvent vers la facilité au lieu de la transcender. De quoi vouloir retourner vers Top Five, ce petit bijou de Chris Rock que beaucoup trop peu de gens ont vu.
5/10
Dolemite is My Name prendra exclusivement l’affiche en salles à Montréal au cinéma Dollar et au cinéma Moderne dès le vendredi 11 octobre. Il sera ensuite sur Netflix dès vendredi prochain, le 18 octobre.