Il est normal, après une lourde épreuve, une expérience éprouvante, de vouloir décompresser. C’est donc sous des allures d’expiation psychanalytique que Xavier Dolan a ainsi voulu retourner vers quelque chose qui lui fait du bien. Dommage que pour son huitième long-métrage en carrière, Matthias & Maxime, il offre une compote automnale faite maison livrant une parenthèse à laquelle il est peu intéressant de prendre part.
C’est l’effet Le chalet assuré, alors qu’on demande à ses véritables amis de participer à ses projets. C’était le cas de ses premières œuvres et des éléments de sa bande ont toujours trouvé le moyen de tapisser ses films. Bien sûr, il a eu l’audace de s’offrir Anne Dorval, puis Louis Garrel, puis Melvil Poupaud, puis Marion Cotillard et on en passe, au point de se payer la totale dans le maladroitement célèbre The Death & Life of John F. Donovan.
Ici, on délaisse les ambitions, on resserre le cercle et on veut s’assagir. Ce qui compte, c’est l’amitié et si celle-ci est constamment mise en péril par les pressions ambiantes, on veut continuer de joindre l’utile à l’agréable et miser sur la force du plus grand nombre.
De fait, Dolan continue de brouiller les pistes entre amour et amitié et s’entête à continuer de filmer le désir sous toutes ses formes. La différence, cette fois? L’objet de désir n’est nul autre que lui-même.
Dans cette sorte de film méta si l’on veut se diriger vers ce territoire, Dolan, s’il a toujours su bien illustrer ses désirs à l’écran, il a cette fois plus que jamais voulu penser à lui-même et le cinéaste « rebelle » n’y est pas allé de main morte pour se donner le beau rôle. Dans cette première fois où il se met autant en scène depuis un moment, renouant avec son « amour du jeu », il s’élève à une stature de saint. Son Maxime est gentil, délicat, effacé, attentionné, humble et intègre. Il vient d’un environnement pas facile, est toujours là pour son prochain, il n’élève pas la voix et n’affectionne pas ce qui est trop dur en termes de drogues ou d’alcool.
Il n’est pas parfait, néanmoins: il a une satanée tache de naissance qui, sur le plan narratif, devrait le poursuivre et lui apporter malheur et honte, mais qui, techniquement ne change absolument rien à l’ensemble.
Pas de demi-mesure
Bien sûr, cette retenue chez cet enfant-acteur qu’on a surtout connu en train de crier ce qu’il pensait tout haut peut apparaître comme un renouveau intéressant, sauf que cette tactique semble simplement là pour bien paraître dans l’ensemble, puisque tout ce qui l’entoure continue de nous assiéger des tics habituels.
On admettra qu’on a limité la tendance à y avoir recours, mais les amoureux des plans de nuques, des ralentis, des chansons pop, des engueulades, des femmes hystériques et des hommes machistes, tout comme les sous-entendus homosexuels, seront largement récompensés, puisque même dans sa modération, voilà un film qui ne pourrait appartenir à aucun autre cinéaste.
Ainsi, le kitsch est particulièrement kitsch et les tonalités ne sont jamais subtiles. Que ce soit dans cette représentation des femmes (surtout plus âgées), de cette pauvre Anne Dorval qu’on essaie d’utiliser à contre-emploi dans une sorte de Mommy/J’ai tué ma mère inversé, de cette Camille Felton qui en fait plus que des tonnes pour des rires faciles et une critique générationnelle simpliste ou même de ce regard méprisant sur les hommes macho, le film n’aime pas beaucoup donner dans la nuance.
Pire, au-delà des raccords scénaristiques qui font défaut, on se démène à nous ouvrir des voies grandes comme des portes de garage sans jamais prendre soin de les développer ou même d’y faire suite.
Certes, le leitmotiv est ce fameux baiser. À mi-chemin entre le pari, l’accident et la banalité, ce gage d’intimité ultime pousse Matthias à se remettre totalement en question. Les deux hommes ont beau dormir dans le même lit à l’occasion, partager pratiquement leur famille, être presque constamment ensemble depuis toujours, mais bon, c’est ce geste superflu qui sert d’élément déclencheur puisque la construction du scénario l’exige.
Oui, Gabriel D’Almeida Freitas, surtout connu pour ses folies et son absurdité, est facilement épatant en jeune homme torturé (on l’avait vu similairement en jeune banquier homosexuel gentil dans Le chalet, d’ailleurs), et arrive à composer une complexité crédible face à un environnement qui ne l’est pas tant. Il y a bien ses crisettes qui semblent toujours un peu trop exagérées, mais ce n’est rien face à tous les autres qui se contentent de déblatérer machinalement les dialogues, qui à défaut d’être fluides, n’ont certainement pas le naturel qu’ils prétendent avoir.
Autrefois dialoguiste de talent, Dolan semble ainsi avoir abdiqué sur les deux plans: ne plus savoir quoi dire, ni savoir comment l’écrire.
De la beauté, néanmoins
Si ce n’est de quelques plans, cette insistance sur la proximité, ces références visuelles (on n’échappe jamais à Titanic) et ces passages vers des excès plus « artistiques », Dolan sait encore comment filmer, et la direction photo d’André Turpin est magnifique. L’usage de la couleur et des lumières impressionnent souvent, et si on insiste un peu trop sur le principe d’isolation visuelle, on se contente quand même de ne jamais être trop ennuyeux pour le regard.
Bien sûr, on ne peut en dire autant des costumes, mais disons que c’est une plainte parmi tant d’autres, surtout face à un montage relativement efficace qui aurait tout de même bénéficié de pas s’entêter d’une si longue durée pour le propos.
Puisque voilà, fort en symbolismes (le chien errant, la plante négligée, les pères absents, etc.), le long-métrage a un impact assez faible.
La complicité a beau être de la partie, on ressent davantage de pitié pour la distribution. Outre ceux nommés précédemment, pourquoi, à l’instar de Chokri, ne pas permettre à la lumineuse Micheline Bernard de briller davantage? Pourquoi reléguer Anne-Marie Cadieux à des simagrées ou nous faire cadeau de Louise Bombardier pour la forcer à articuler comme Anne Dorval? C’est d’autant plus dommage de voir Marilyn Castonguay faire du mieux qu’elle peut avec un rôle ingrat de potiche, ou Harris Dickinson dans une apparition complètement indéfendable autre que d’avoir voulu se payer l’égérie masculine de Beach Rats sans faire hommage à son talent au-delà de son physique. Ce dernier montre également, via sa filmographie, que le succès ne va pas toujours de pair avec l’intégrité.
Au moins, les irrésistibles Adib Alkhalidey et Pier-Luc Funk parviennent toujours à se faire plaisir, peu importe où ils se trouvent, mais malheureusement, même là, on n’arrive pas judicieusement à tirer parti des deux hommes.
On joue, on crie
Matthias & Maxime apparaît donc largement comme une réflexion intérieure extériorisée en œuvre d’art. Non pas que le cinéaste s’est déjà caché de ne pas se mettre à part entière dans ses œuvres, mais cette vulnérabilité est décidément plus inusitée.
Il y a de la tendresse, oui, des malaises, également. Dommage alors de n’y voir que des excuses à, plutôt que la porte d’entrée pour de vraies discussions. Un peu comme s’il était traumatisé par l’accumulation des critiques et des jugements, voilà un Dolan qui a perdu beaucoup de ses aises et, du même coup, de ses ambitions.
Pourquoi être aussi frileux face à la sexualité, ou même l’homosexualité? Pourquoi ne jamais rien aborder de plein front et se contenter de suggérer? Toutes ces thématiques étaient pourtant réunies, mais elles font ici usage de parures.
Voilà donc un film qu’on veut jovial, mais qu’on alourdit de mélancolie. À l’image d’un clown triste (c’est peut-être cela au final la tache au visage), le reflet d’un cinéaste qui tente de faire son mea culpa en se remettant littéralement en cause, tout en essayant de se remonter le moral en se donnant l’amour dont il a manqué précédemment, voire tout récemment.
5/10
Matthias & Maxime prend l’affiche en salles ce mercredi 9 octobre.
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