«La violence des montagnards a laissé la place à la ruse, à l’intelligence de situation. Les assauts violents aux subtilités de la diplomatie. Aux guerriers redoutables du seizième siècle vont succéder les fins diplomates de l’ère moderne», écrit le journaliste André Crettenand dans l’essai Suisse, l’invention d’une nation paru en 2016. Trois musées rendent compte de cette expertise.
À Genève, le Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a pignon sur rue devant l’Office des Nations unies et d’une place où des Pachtounes protestaient contre la torture sous une grande tente, à quelques pas du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Après avoir assisté au carnage de la bataille de Solférino en Italie, Henry Dunant (1828-1910) a créé le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en 1859, lui valant le prix Nobel de la paix en 1901. Le musée propose trois parcours à ses visiteurs pour expliquer son fonctionnement : défendre la dignité humaine, reconstruire le lien familial et limiter les risques naturels.
La défense de la dignité humaine aborde l’aspect judiciaire de l’humanisme par l’énumération des lois adoptées à travers les temps qui ont servi cette édification. La reconstruction des liens familiaux est probablement le plus délicat des parcours. Ici, il ne s’agit pas de stratégies militaires, de nombre de morts et de blessés, de bilans catastrophiques et encore moins de témoignages émotifs. À l’aide d’un centre d’archives, de téléphones satellites et d’un système de courrier, les équipes de la Croix-Rouge tentent de rapprocher les victimes de leurs proches.
À la suite de la lecture de lettres issues de divers conflits, le parcours sur les risques naturels nous ramène dans une zone ludique avec un jeu interactif visant à organiser une opération de sauvetage de réfugiés contre la montre. Pour prévenir les populations des dangers, le CICR a eu recours à l’affiche et à la radio.
Art brut
«Jean-Jacques Rousseau, le promeneur qui s’épanche, Frédéric Amiel, le confident insatiable, annonciateur de Freud et de Jung, Piaget, le psychologue, Georges Haldas, le maître de la chronique du quotidien, tous témoignent du goût de l’introspection», relate le journaliste André Crettenand.
À Lausanne, la Collection de l’Art brut regroupe des œuvres de détenus, de pensionnaires d’hôpitaux psychiatriques, de solitaires et de marginaux qui créent sans se préoccuper de la critique et du regard d’autrui. Leurs travaux, réalisés à l’aide de moyens et de matériaux souvent inédits et appliquant des modes de figuration singuliers, n’ont pas été influencés par la tradition artistique. Inauguré en 1976, le musée abrite la collection de travaux d’autodidactes de l’artiste peintre français Jean Dubuffet (1901-1985) qu’il a amassée à partir de 1945 et léguée en 1971 à la Ville de Lausanne.
Chaque œuvre est accompagnée d’une photographie et d’une biographie concise de l’artiste afin d’expliquer les conditions particulières de leur création. Certains ont légué une œuvre incroyable dans la clandestinité, dont le propriétaire qui a découvert l’autobiographie de 2000 pages, une œuvre littéraire dactylographiée de 15 000 pages et des centaines d’aquarelles dans le logement de son locataire à sa mort. Plusieurs artistes se sont intéressés aux expressions du visage au stylo sur des serviettes de restaurant, modelées en glaise, taillés dans le bois et par des assemblages de coquillages ou de morceaux de vaisselle.
Les tableaux en trois dimensions de Paul Amar fait avec divers coquillages de moules, de bigorneaux et de coraux qu’il peint, vernis et éclaire par des ampoules dissimulées dans des coquilles d’oursins présentent des mondes aussi grouillants que les broderies volumineuses de Yumiko Kawai. Peu importe la raison, s’acquitter du conformisme favorise l’élaboration systématique d’univers complexes et détaillés.
Communication
«Les relations avec l’Union européenne, l’immigration, la retraite, les vacances, l’achat d’avions de combat, la construction de minarets, le port du voile. D’autres pays trembleraient à l’idée de consulter leurs citoyens sur ces thèmes. La démocratie directe l’exige. Pas de décision qui n’échappe à l’avis citoyen», note le journaliste André Crettenand.
À Berne, le Musée de la communication se divise en de grandes salles contenant une abondance d’informations présentées de façon interactive réparties sur trois planchers. À première vue, le tapis rouge de célébrités et le tube pneumatique à courrier interne donnent l’impression d’entrer dans une salle de jeux pour divertir les classes d’élèves. À regarder de plus près, la présentation anachronique d’une foule d’artéfacts liés à la communication derrière de grandes vitrines accroche le regard. Objet insolite parmi d’autres, la boule à écrire à 54 touches créée en 1865 par le pasteur danois Hans Rasmus Johann Malling-Hansen a été la première machine à écrire.
Un étage en dessous, un énorme cerveau suspendu introduit la salle de la mémoire, du centre de données. À quoi ressemble et quels bruits fait Big Data? Des étudiants de la Haute école des arts de Berne (HKB) ont tenté de représenter ce corps abstrait, voire omniprésent. Une série de questions éthiques portant sur les nouvelles technologies y sont vulgarisées. La pollution qu’engendre la production des supports (téléphone intelligent, tablette, ordinateur, etc.) est décortiquée de l’excavation des matières premières à leur évacuation comme déchets.
Une double chronologie, suivi d’une salle de théories sur la communication attendent le visiteur au niveau le plus bas. Dans la pièce au fond, c’est comme si les employés avaient laissé leurs choses sur la table de conférence le temps d’une pause, puis une masse rose a commencé à croître. L’œuvre The Conference (2010) de Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger est une installation avec des cristaux en croissance.
«Tout peuple se nourrit de contradictions, mais les Suisses voudraient dessiner un tableau parfait», poursuit André Crettenand.
Toxines et morphologies pullulent tout l’été au Musée de la civilisation