Les amateurs de Blake et Mortimer seront absolument conquis par Le dernier Pharaon, un superbe album qui, tout en respectant fidèlement l’œuvre d’Edgar P. Jacobs, bonifie substantiellement la facture graphique habituelle de la série.
Lors des travaux de rénovation du Palais de Justice de Bruxelles, un mur recouvert d’hiéroglyphes dans une section ancienne se fissure, laissant s’échapper une étrange lueur verdâtre qui, en s’étendant, provoque une panne massive de tous les appareils électriques et électroniques des environs. Malgré l’immense cage de Faraday érigée autour du bâtiment, le rayonnement ne cesse de prendre de l’ampleur, et dans l’espoir d’éviter un black-out généralisé à travers l’Europe, l’ONU condamne la capitale belge derrière une énorme palissade. Tandis que ces perturbations électromagnétiques menacent de replonger la planète à l’âge de pierre, le professeur Mortimer se rend clandestinement dans la ville emmurée, afin d’endiguer le mystérieux phénomène qui semble relié à ses aventures passées en Égypte.
Edgar P. Jacobs, le créateur de Blake et Mortimer, a consigné dans l’un de ses carnets de notes l’ébauche d’un récit se déroulant dans le labyrinthe du Palais de Justice de Bruxelles et mettant en scène une mystérieuse énergie menaçant de brouiller simultanément « tous les radios et téléviseurs du monde ». Si Jacobs n’a pas eu le temps de concrétiser le projet avant sa mort, l’équipe formée autour de François Schuiten (l’illustre dessinateur des Cités obscures) a su utiliser ce point de départ pour Le dernier Pharaon, une bande dessinée qui, tout en proposant une histoire indépendante, sera davantage appréciée par les lecteurs de longue date, puisqu’elle reprend certains éléments du Mystère de la Grande Pyramide (la bague remise par Abdel Razek, l’amnésie affectant les deux héros, etc.), apportant une conclusion à une aventure dont l’aboutissement était toujours resté en suspens.
Le dernier Pharaon ne se contente pas de puiser dans le riche héritage de la série pour tisser son savant cocktail d’égyptologie, d’électromagnétisme et de fin du monde, mais fait aussi évoluer le duo, en le sortant de la période 1950-1960 où il est cantonné depuis la mort d’Edgar P. Jacobs pour transposer l’action une décennie plus tard, alors que le professeur Mortimer, qui arbore une barbe grisonnante et semble avoir délaissé la pipe, a perdu contact avec son fidèle compagnon d’armes, le capitaine Francis Blake. En opposant ces dignes représentants d’une époque où la curiosité scientifique et le « fair-play » étaient à l’honneur à l’effondrement des systèmes informatiques régissant la planète, une menace bien de notre temps, l’album suscite même des questionnements sur les « bienfaits » de la modernité.
Contrairement à tous les albums parus depuis la mort d’Edgar P. Jacobs, Le dernier Pharaon délaisse la facture « Tintin pour adultes » qui caractérise la série depuis ses touts débuts, et les splendides dessins de François Schuiten apportent une maturité graphique complémentant à merveille le réalisme fantastique qui a toujours été la marque de commerce de Blake et Mortimer. De sa Bruxelles post-apocalyptique où les animaux déambulent librement en passant par les souterrains du Palais de Justice où se cache un monde en-dehors du temps, l’artiste multiplie les images fortes, et grâce à l’usage de dizaines et de dizaines de petites lignes fines, il trace de manière vivante la pluie battante sur les voitures, le reflet d’un avion sur la piste mouillée, ou les poils des chats. Il est d’ailleurs amusant d’essayer de repérer les innombrables félins dissimulés dans la plupart des cases. Avec un tel souci du détail, pas étonnant qu’il ait fallu quatre ans à Schuiten pour compléter les illustrations.
Les connaisseurs de la série se délecteront avec Le dernier Pharaon, une bande dessinée qui rend hommage à l’univers d’Edgar P. Jacobs tout en le faisant évoluer, et qui constitue sans doute le plus bel album de Blake et Mortimer à ce jour.
Le dernier pharaon, de François Schuiten, Van Dormael Jaco, Thomas Gunzig et Laurent Durieux. Publié aux Éditions Blake et Mortimer, 92 pages.
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