Le retour des disques en vinyle, à une époque de musique en ligne et d’écoute sur le web, est en fait l’histoire de la façon dont l’innovation peut favoriser une nouvelle jeunesse d’anciennes technologies, affirment des spécialistes de la culture et des sociologues. Selon leurs travaux, cet effet va bien au-delà de la simple nostalgie.
De fait, à l’été 2019, les vinyles étaient sur le point de devenir la plus importante source de revenus de l’industrie de la musique pour ce qui est des ventes physiques. Cela fait suite à une tendance haussière constatée depuis 15; aujourd’hui, s’il demeure un produit de niche, le disque de vinyle pourrait éventuellement demeurer la seule déclinaison matérielle de la musique, alors que les ventes de disques compacts continuent de chuter.
De fait, il a été démontré que les acheteurs de vinyles appréciaient également l’objet physique, sa présence matérielle.
Une nouvelle étude, publiée dans l’International Journal of Research in Marketing, tente de démontrer précisément comment le processus d’innovation, dans le cadre duquel un nouveau produit ou une nouvelle technologie remplace quelque chose de dépassé, peut ensuite favoriser la possibilité qu’un produit ou technologie encore plus ancien ou obsolète soit de nouveau adapté à l’époque actuelle.
Pour mieux comprendre le phénomène, il faut retourner à la fin des années 1980, lorsque les ventes de CD ont dépassé, pour la première fois, les ventes de vinyles, puis les ventes de cassettes quelques années plus tard, en 1993. En 1998, le vinyle ne représentait que 0,7% de tous les revenus de l’industrie de la musique.
Pourquoi les consommateurs ont-ils commencé à abandonner le vinyle et les cassettes? Parce que les CD étaient plus résistants aux égratignures. Parce qu’ils étaient simplement plus pratiques, plus simples à stocker, et plus faciles d’utilisation lorsque l’on souhaitait changer de chanson. Parce que les disques compacts ont été vendus comme possédant une qualité sonore supérieure: ils peuvent théoriquement émuler le son du vinyle à un taux d’encodage qui ne peut être différencié de l’original à l’oreille, tout en pouvant reproduire des fréquences plus extrêmes… et ce même si les puristes rejettent ces arguments.
Trois décennies plus tard, la musique numérique a remplacé les CD. Aux États-Unis, l’industrie de la musique en ligne représente 80% des revenus de l’industrie. Si l’on réexamine les critères qui ont rendu le vinyle obsolète, les technologies de diffusion de musique en ligne dépassent les CD sur tous les aspects: la qualité est bonne, et adieu problèmes d’égratignures ou de stockage.
La seule caractéristique à laquelle les CD peuvent se raccrocher est la présence matérielle – certaines personnes veulent posséder un objet que l’on peut toucher et exposer dans sa maison. Mais sur cet aspect, il semble que le vinyle réussisse bien mieux que les disques compacts. Et donc, les gens attirés par les objets physiques sont plus portés à acheter des vinyles pour accompagner leur consommation numérique.
Prédateurs… et proie
Comme l’expliquent les chercheurs, cette histoire est celle des prédateurs et des proies, et pas seulement dans l’industrie de la musique. Une fois que l’apparition d’une nouvelle technologie mène à l’extinction d’une précédente innovation, il peut être intéressant d’observer ce qui existait auparavant. Certaines caractéristiques d’une technologie disparue depuis longtemps pourraient redevenir pertinentes et attirantes, maintenant que le « prédateur » est disparu. La clé consiste à identifier la façon d’accentuer ces caractéristiques pour que l’ancien format fonctionne parallèlement au nouveau.
Dans l’industrie de la photo, la première génération de films analogues a été pratiquement entièrement remplacée par une deuxième génération d’appareils numériques. Une troisième génération, s’appuyant sur les téléphones intelligents et les réseaux sociaux, n’a pas été originalement conçue pour l’impression sur support physique.
Alors que de plus en plus de consommateurs utilisent les technologies de troisième génération, la photographie sur film a commencé à effectuer un retour, avec la résurrection des films noirs et blancs de Fujifilm, ou encore l’iconique l’Ektachrome de Kodak.
D’ailleurs, l’industrie a bien compris cet engouement pour le tangible. Polaroid doit bientôt mettre en marché un « labo » pour imprimer des versions analogues d’images prises par des téléphones intelligents. L’Instax, de Fujifilm, pourra permettre d’imprimer sur un format similaire aux anciens polaroïds.
L’icône de pile du téléphone, le nouvel indicateur du standing en société
Un commentaire
Pingback: Deepfake: les menaces ne sont pas là où on pense - Pieuvre.ca