La réputation d’Alexandre Boulerice n’est plus à faire. Député de Rosemont–La Petite-Patrie depuis 2011, alors qu’il avait été porté par la vague orange, il a été réélu avec près de 50% des voix en 2015, loin devant ses adversaires de l’époque. Pour sa formation, le Nouveau Parti démocratique (NPD), la ferveur de 2011 semble toutefois moins présente. Rencontre à mi-parcours de la campagne électorale fédérale.
« En général, nous sommes très satisfaits par notre début de campagne », assure M. Boulerice, qui occupe aussi les fonctions de chef adjoint depuis le printemps dernier. Selon lui, le NPD, dirigé par Jagmeet Singh, est le seul parti « à ne pas être enlisé dans les scandales ou les anecdotes désagréables ».
Il est vrai que jusqu’à maintenant, la campagne fédérale de 2019 a surtout été marquée par les divers épisodes de blackface et de brownface du premier ministre sortant, Justin Trudeau, ou encore par les cas d’organisateurs ou de candidats du Parti populaire de Maxime Bernier, par exemple, ayant des liens avec l’extrême droite et les partis nationalistes. Plus tôt cette semaine, Radio-Canada rapportait des propos du Parti libéral du Canada indiquant que le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, ne disposait pas du permis nécessaire pour travailler comme courtier immobilier avant de se lancer en politique. Parallèlement à cette série d’histoires sombres, il est vrai que le NPD et M. Singh ne se retrouvent pas sous les feux des projecteurs pour des raisons qui pourraient s’avérer gênantes.
« Je pense que Jagmeet a un très bon début de campagne, je pense qu’il surprend les gens, les journalistes, les chroniqueurs… », poursuit M. Boulerice, qui évoque entre autres le débat de Maclean’s, auquel M. Trudeau n’a pas participé, et qui a été « largement remporté » par le chef néodémocrate. « On a des signaux qui sont positifs, on a une couverture médiatique qui est positive, également; nous sommes fiers de cela. »
« Jagmeet surprend également les gens par la qualité de son français, il est sympathique, chaleureux, proche des gens, et prêt à se battre pour des choses qui sont importantes pour eux », a poursuivi M. Boulerice.
Et dans Rosemont? « Ça se passe très bien », répond tout de suite le député sortant, qui en est à sa quatrième campagne dans cette circonscription. Ça se passe si bien, en fait, dit-il, que plusieurs personnes rencontrées sur la rue ou lors de séances de porte à porte lui disent carrément que leur vote lui est acquis, et qu’il n’est pas nécessaire de leur donner des dépliants ou de leur expliquer ses positions et celles de son parti.
« On a bâti une base électorale et un soutien, avec les années, qui est vraiment manifeste après huit ans. Et il y a bien sûr des gens qui disent « je ne sais pas encore, je vais regarder ça », et on leur parle de différents enjeux, principalement d’environnement et d’inégalités sociales. »
L’urgence climatique d’abord
Au coeur de la plateforme du NPD, on retrouve une volonté de s’attaquer au problème de la crise climatique. « Je pense qu’avec un demi-million de personnes qui ont marché dans les rues de Montréal, vendredi, dont ma famille, mes amis et moi-même, c’est vraiment quelque chose qui est au coeur des priorités des gens », mentionne M. Boulerice.
Autre pierre d’assise du programme néodémocrate, la lutte contre les inégalités sociales occupe une grande part de la plateforme du parti, comme en témoigne cette volonté d’instaurer une assurance dentaire universelle, ou encore d’imposer une taxe sur les propriétés acquises par des acheteurs étrangers, pour entre autres éviter la formation de bulles immobilières, et permettre la construction de logements sociaux dans les villes où la demande est criante.
« Nous, on pense que les multimillionnaires qui cachent leur argent dans les paradis fiscaux, ce n’est pas juste; on pense que les géants du web qui ne paient pas leurs impôts ici, ce n’est pas juste non plus. C’est de l’argent qu’on se fait voler, et qui pourrait servir pour avoir une meilleure assurance-maladie, une meilleure assurance médicaments, pour aider concrètement les gens dans leur vie », affirme M. Boulerice.
Mais le NPD a beau proposer un programme résolument progressiste, le parti est toujours en troisième position dans les sondages, loin derrière les libéraux et les conservateurs, qui sont au coude à coude depuis le déclenchement de la campagne.
Selon les plus récentes projections du site 338Canada.com, le NPD serait en voie d’obtenir 11 sièges (avec une marge d’erreur de 13 sièges!), contre 138 pour les conservateurs et 166 pour les libéraux. Faut-il déjà oublier l’idée d’un gouvernement néodémocrate le soir du 21 octobre, date du scrutin?
« Une campagne électorale, c’est toujours stressant; le jour où je ne serai pas stressé, ça ne va pas bien aller! », lance M. Boulerice. « Mais, il y a une chose que j’ai apprise, avec l’expérience, c’est que tu ne peux pas toujours avoir de bonnes journées sans que cela ne fasse de différence. L’accumulation de bonnes journées, de bonnes impressions, de reportages positifs et de contacts positifs avec les gens finit nécessairement par payer. Je me rappelle de 2015, où on accumulait les mauvaises journées. Quand tu accumules les mauvaises journées, tu ne peux pas t’attendre à conserver ton niveau d’appui très élevé; inévitablement, tu vas baisser. »
« Est-ce que j’aimerais qu’on soit un peu plus élevés (dans les sondages) en ce moment? Oui, mais on va dans la bonne direction, c’est, ça qui compte », a poursuivi le député sortant.
Faut-il alors penser que Jagmeet Singh pourrait être premier ministre? « Je travaille pour que Jagmeet devienne premier ministre, on s’entend. En ce moment, si je vous disais que je garantissais que Jagmeet sera premier ministre, je vous mentirais effrontément, et vous ne me croiriez pas de toute façon, non plus », indique M. Boulerice. Ce dernier plaide plutôt pour l’envoi d’un « maximum » de députés néodémocrates à Ottawa pour que le parti obtienne la balance du pouvoir advenant l’élection d’un gouvernement minoritaire.
Si tel est le cas, aura-t-on droit à des années de liberté d’action de la part du parti au pouvoir, comme ce fut le cas avec les troupes de Stephen Harper, puisque l’opposition ne voulait pas déclencher de nouvelles élections? « Si vous vous rappelez, c’était les libéraux qui ne voulaient pas aller en élections », martèle M. Boulerice, qui promet qu’une opposition NPD ferait fortement pression pour le déclenchement d’un nouveau scrutin si les priorités du parti n’étaient pas respectées advenant une balance du pouvoir néodémocrate.
Six chefs, deux débats
Alors que les débats des chefs approchent à grand pas, la démarche du NPD pour exiger que le chef du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier, ne soit finalement plus invité à y participer a surpris, les autres partis ayant indiqué qu’ils profiteraient plutôt de l’occasion pour attaquer la plateforme et les valeurs de l’ex-député conservateur.
S’il faut désinviter M. Bernier pour les valeurs qu’il défend, des positions relativement similaires à celles du Parti conservateur – dont le chef laisserait ses députés d’arrière-ban présenter des projets de loi contre le droit à l’avortement, entre autres, sans parler des positions conservatrices en matière d’environnement –, pourquoi inviter M. Scheer, dans ce cas?
« C’est une question intéressante; je pense qu’il y a quand même des différences entre M. Scheer et M. Bernier, on pourrait en parler longtemps. C’est une question un peu difficile, parce qu’en démocratie, l’instinct consiste à offrir un espace à tous. En même temps, le danger – et là, le processus de la commission (chargée d’organiser les débats) est très bizarre, parce qu’ils ont dit non, puis ils ont dit oui –, c’est la banalisation de propos xénophobes, anti-immigrants, voire racistes. Et comme société, c’est très dangereux d’aller sur cette pente-là, c’est très glissant », soutient M. Boulerice, qui évoque au passage l’enflure verbale entourant l’adoption de la loi sur la laïcité, au Québec, où les membres de la communauté musulmane ont bien souvent été pris à partie par des chroniqueurs, des commentateurs, et par de simples citoyens.
« Ce n’est pas le genre de débat que je veux avoir; je veux un débat d’idées, oui, mais les propos intolérants n’ont pas nécessairement leur place sur un plateau de télévision national. »
Élections fédérales 2019 – Maxime Bernier et le climat: « Regardons les faits »