Il est de plus en plus difficile d’aspirer à l’originalité dans le domaine de la science-fiction. Il serait donc particulièrement naïf de croire que ce très attendu Ad Astra serait le pion manquant pour revitaliser un genre dont l’effervescence n’en finit plus de nous subjuguer depuis une décennie. D’autant plus que ce projet, à deux doigts d’être maudit, a bien failli ne plus appartenir à son merveilleux cinéaste. Sauf que croire à un désastre évident équivaut à sous-estimer la force de James Gray, puisque dans les méandres de ce foutoir se cachent indubitablement les élans d’un très grand film.
Par définition, la science-fiction repose sur la science et veut concrétiser une certaine vision de l’avenir. Ad Astra a certainement sa part de recherches et revendique un désir criant de réalisme dans sa représentation de la conquête de l’espace. Il y a aussi en biais un regard mi-amusant, mi-inquiétant d’une commercialisation de la lune qui n’est pas sans fasciner.
Sauf que n’en déplaise aux élans d’actions et à tous les autres tours de passe-passe qui semblent seulement là pour pimenter l’ « intérêt » du long-métrage – on pense à cette farandole de noms prestigieux qui ont probablement été ajoutés à la va-vite – l’intérêt du film réside surtout du côté de son désir d’utiliser l’espace comme métaphore nécessaire afin d’expier des émotions profondément humaines.
Plongeant dans les mêmes eaux que le Interstellar de Nolan, Gray délaisse ses histoires fraternelles pour à la fois inverser et continuer ce qu’il avait débuté dans son immense The Lost City of Z, en s’appropriant de nouveau la relation complexe d’un fils et de son père. Il y a certes une mission, tout comme des répercussions (on sent une parenté avec Gravity, évidemment), mais ce qui finit par compter, c’est la quête, celle bouleversante d’un fils pour retrouver son père, et qui tout droit sortir d’un tête-à-tête fictif de Neil Armstrong avec lui-même.
Après tout, Chazelle a lui-même fait preuve de ses propres élans de liberté dans son mésestimé First Man, alors qu’à l’inverse, on semble ici constamment empêcher Gray de pleinement se mettre à l’œuvre. Serait-ce les craintes de Fox, à mi-chemin de son acquisition par Disney, qui ne veut plus faire entièrement confiance à Plan B, ni même croire au vedettariat pourtant suffisant de Brad Pitt en tête d’affiche? Ou bien est-ce la collaboration de Ethan Gross, habitué de la télévision qui collabore ici à son premier scénario de cinéma, qui pourrait bien être à l’origine de tous ces détours qui nuisent à la poésie d’origine? Difficile de tout démystifier, du moins pour l’instant.
On en vient donc à scruter le génie dans cette œuvre qui, n’en déplaise à toutes ces influences évidentes, semble constamment se chercher. Pourtant toujours propulsé vers l’avant, malgré un montage mélancolique qui ne renie jamais des petits clins d’œil à un passé proche ou éloigné, le film ne perd aucune seconde. Certes, il se pose régulièrement avec cette narration en voix off qui divague entre la sublime beauté et le trop-plein explicatif, à l’image des premières écritures qui nous expliquent même le titre du film en rouge sur noir, mais il va toujours de l’avant, en regardant très peu en arrière.
Ainsi, ont beau défiler des John Ortiz, Ruth Negga et compagnie, ceux-ci pourraient difficilement être plus accessoires, comme le prouve cette poursuite lunaire semblant tout droit sorti de Mad Max: Fury Road (une guerre de ressources, vraiment?) visiblement seulement là pour se débarrasser « narrativement » de Donald Sutherland qui, de toute façon, ne servait pas à grand-chose. Un autre mystère parmi une longue liste qui comprend aussi des singes mutants.
Même Liv Tyler, qui se voit à nouveau magnifier par les compositions orchestrales de Max Richter, comme c’était le cas dans la grandiose télésérie The Leftovers, tout en renouant avec l’espace pour la première fois depuis Armageddon (en faisant abstraction du délire qu’est Space Station 76, bien sûr), demeure d’une importance assez discutable, sauf peut-être pour l’épilogue, qui risque certainement de diviser les spectateurs.
Après tout, Richter non plus n’a pas été laissé à lui-même, alors qu’on a fait appel à des compositions additionnelles de Lorne Balfe (rejeton de Hans Zimmer qui avait collaboré à Interstellar, parmi d’autres), pendant que le montage utilise régulièrement des fondus qui laissent certainement deviner des coupures dans le rythme pour empêcher le long-métrage de pleinement respirer. On doute après tout qu’une durée de deux heures, qui évoque une demande des studios, ait été le choix du réalisateur.
Il y a toutefois un déclic qui se produit, principalement dans cette deuxième heure. Oui, bien sûr, on y retrouve tout du long un Brad Pitt déchirant dans l’une de ses performances les plus vulnérables et contenues de son imposante carrière, mais aussi une dynamique qui se rapproche davantage du pas de deux artistique qu’on attendait et espérait du long-métrage.
On regrette donc cette lâcheté de la part de ceux qui ont poussé un projet aussi ambitieux à s’embourber dans des éléments qui lui nuisent, probablement dans le seul désir d’atteindre un plus grand public et de plaire à plus de gens. Cela place ainsi le film dans une position inconfortable qui nous empêche de le critiquer ou de crier au génie. Il ne faut pas par contre croire à une œuvre tiède.
Les prises de risques sont encore nombreuses et le talent de James Gray trop grand pour que le film soit aussi facilement enterré. Bien sûr, on peut admettre qu’après s’être intéressé à son époque puis s’être tourné vers son passé, il était évident qu’il aurait sans aucun doute le goût de se tourner vers l’avenir, mais il aurait fallu qu’on lui accorde carte blanche. En attendant de peut-être un jour découvrir sa vision absolue, on se contentera de cet Ad Astra, un objet hypnotisant, souvent magnifique néanmoins, qui a bien failli marquer l’époque.
7/10
Ad Astra prend l’affiche en salles ce vendredi 20 septembre.