De Frank Herbert avec Dune — et même avant — jusqu’à cette rentrée littéraire de 2019, les ouvrages à parler d’une planète en détresse et des hommes qui la surchauffent sont nombreux, et dorénavant essentiels. D’ailleurs, une dénomination pour rassembler ces romans à saveur environnementale a vu le jour au tournant des années 2010: la « cli-fi », pour « fiction climatique » en anglais.
En voici donc une brève sélection, pour nourrir votre fibre de militant écologiste; des romans qui usent parfois d’humour ou de frissons et qui dansent parfois sur des notes autobiographiques, post-apocalyptiques, scientifiques, littéraires ou politiques. Bref, les approches sont nombreuses pour vous combler!
1. La fonte des glaces, Joël Baqué (P.O.L.)
C’est avec humour — et un brin de dérision jamais mal placée — que Joël Baqué s’attaque au réchauffement climatique planétaire, traitant ainsi avec grandiloquence d’un sujet qu’on découvre non dénué de matière littéraire. Louis, protagoniste de ce roman, deviendra bien malgré lui une icône mondiale de l’écologie.
Tout commence par l’achat d’un manchot empereur empaillé, trouvé dans une brocante et pour lequel il exprime une fascination sans bornes, allant même jusqu’à aménager tout son grenier en l’honneur de l’oiseau, lui trouvant d’autres « compatriotes » et choisissant même de visiter l’Antarctique. Le retraité deviendra célèbre, adulé, suivi par oh combien de gens qui souhaitent le bien de la planète. C’est tordu, souvent à mourir de rire et on se plaît à la lecture, car l’écriture y est soignée et poétique. De plus, ce roman et son ironie sont parfaits pour nous remettre gentiment sous le nez notre crédulité et quelques-uns de nos travers collectifs.
2. Une histoire des abeilles, Maja Lunde (Les Presses de la Cité)
À la fois roman écologiste et grande saga familiale, ce livre — dont les détails relatifs aux abeilles sont impressionnants de véracité et de précision — nous plonge dans les méandres de l’importance de ces insectes ailés. On y croise, en trois temps, des personnages liés malgré les différentes époques: William, un apiculteur anglais en 1851 qui, en pleine dépression, met sur pied une ruche révolutionnaire; George, également apiculteur, mais américain, s’inquiète en 2007 devant l’imminence de la disparition des abeilles survenue dans le sud du pays et du manque d’intérêt de son fils pour la question ; et finalement, Tao, en Chine, dans le futur pas si lointain de 2098, dont le boulot consiste à polliniser à la main les arbres fruitiers pour assurer la survie de sa fille, mais surtout de l’humain et de son alimentation, car toutes les abeilles ont disparu…
Un roman essentiel pour comprendre le rôle de ces travailleuses jaune et noir, plus intimement liées à nous qu’on ne pourrait le croire.
3. Sans terre, Marie-Ève Sévigny (Héliotrope)
Dans ce roman policier écrit avec soin, Marie-Ève Sévigny nous entraîne en terre insulaire pour y camper son intrigue à saveur politico-environnementale, qui soulève une grande question: le Québec et ses richesses naturelles ont-ils réellement un prix?
Sur l’Île-d’Orléans, le chalet de Gabrielle, militante écologiste reconnue par tous comme telle, est atteint de flammes vandales, alors qu’au même moment elle manifestait contre un port pétrolier, basé de l’autre côté du littoral. Puis, un employé saisonnier de l’île est retrouvé mort. Quels événements sont liés, mais surtout, lesquels ne le sont pas ? Alors qu’il est à la retraite, Chef, l’ancien policier et ex-amant de Gabrielle, mènera sa propre enquête, laquelle le poussera à découvrir que le fleuve est un protagoniste notoire, en tant que passage qui laisse bien peu de traces…
4. La saison brune, Philippe Squarzoni (Delcourt)
Pour tout comprendre des changements climatiques, il faut se plonger dans cette bande dessinée, œuvre monumentale qui s’est donné comme défi d’expliquer le tout par le biais d’analyses scientifiques, d’entrevues avec des spécialistes, d’enquêtes dans le milieu de la politique et, bien entendu, du point de vue de l’auteur. Philippe Squarzoni répond ainsi à une grande quantité de questionnements tels que:
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L’activité humaine a-t-elle un impact sur le réchauffement?
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Que peut-on faire individuellement?
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Comment fonctionne le climat?
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Est-il trop tard?
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Par quoi commencer?
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Qu’en est-il de l’énergie nucléaire?
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Quelles politiques pourraient nous sauver?
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Liberté et démocratie sont-elles toujours de mise?
Une façon aussi originale (par le neuvième art) que pertinente (grâce aux recherches fouillées) de s’informer pour ensuite mieux agir.
5) Exodes, Jean-Marc Ligny (L’Atalante)
Si le titre est au pluriel, c’est que ce roman bouleversant décline six différentes voies que choisissent de prendre les protagonistes pour survivre. Car la catastrophe a eu lieu: la Terre est devenue presque entièrement hostile à toute vie humaine et plusieurs hommes, dans leur quête de survie, en ont oublié leur humanité…
De main de maître, l’auteur nous propose de suivre six destins: poursuivre quelque temps sa vie telle quelle sous un dôme en Suisse; chercher le salut dans les religions; tout détruire et précipiter la fin imminente dans une vague violente; se prostituer pour avoir accès à de la médication; sauver les derniers animaux tel Noé; ou s’enfuir, loin de tous ces humains à court de solutions… Les opinions sont unanimes: il s’agit d’un grand roman, d’une forte intensité, d’une aventure désenchantée qui frappe l’imaginaire au point de laisser un arrière-goût d’avertissement comme quoi il faut agir, maintenant.
6. 60 jours et après, Kim Stanley Robinson (Pocket)
« Ils étaient englués dans un moment de l’histoire où le changement climatique, la destruction de la nature et la généralisation de la misère se combinaient pour former un mélange toxique et explosif », lit-on dans ce roman, alors qu’à Washington, un nouveau président pro-environnemental est élu, déterminé à sauver la Terre d’une catastrophe climatique. Il décide de faire appel aux scientifiques pour contrer l’imminence, mais il n’est pas simple de mettre en place une politique adaptée au respect du climat, pas si simple de « terraformer » la Terre.
Ce roman aux multiples ramifications aborde l’apport de la politique et de la science dans la solution au désastre écologique, en plus des aspects humains et mystiques qui y sont liés. Il s’agit d’ailleurs du dernier tome — tous se lisent indépendamment — d’une « trilogie climatique », après Cinquante degrés au-dessous de zéro et Les quarante signes de la pluie.
7. Un jardin dans les Appalaches, Barbara Kingsolver (Rivages)
L’auteure, qui nous avait ravi avec l’histoire du changement de trajectoire de la migration des monarques dans Dans la lumière, revient cette fois avec un récit plus autobiographique, où elle raconte à la façon d’un grand manifeste écologique, son année passée dans les Appalaches alors qu’elle et sa famille ont choisi d’opter pour le mouvement « slow food », en cessant d’encourager la surconsommation liée à la nécessité de manger et en s’affranchissant de l’alimentation industrielle, laquelle est désastreuse pour l’environnement.
Bref, on s’approche de l’autarcie: un an durant, la famille Kingsolver produira sa propre nourriture. Ainsi, il y est question de semis, de poules, de plats cuisinés avec imagination, de bêtes d’élevage. Et si le tout intéresse vivement, c’est qu’on délaisse la théorie pour plonger dans le quotidien de quelqu’un qui a eu le courage de se mouiller pour aider la planète.
8. Le continent de plastique, David Turgeon (Le Quartanier)
Bien que dans ce roman on parle énormément de littérature — c’est l’histoire de l’assistant d’un célèbre écrivain —, le protagoniste est également obsédé par le continent de plastique et y revient, en toile de fond, au fil des pages. D’ailleurs, les parallèles entre cette agglomération de détritus à la dérive et certaines idées littéraires sont judicieusement amenés.
Ainsi, on suit le narrateur durant près d’une décennie alors qu’il nous offre une fenêtre sur l’envers du décor universitaire, sur sa vie amoureuse et sur les choix des cinq « cavaliers de l’apocalypse » que sont ses amis universitaires, qui décident tous — mais est-ce un choix ou une fatalité? — d’évoluer sur un chemin semblable, mais un brin différent. Les enjeux écologiques surtout selon l’angle de la récupération (autant artistique, qu’environnementale ou politique) sont abordés dans ce roman dont le lecteur averti appréciera l’ingéniosité de la structure narrative.
9. No Impact Man, Colin Beavan (10/18)
Il y a dix ans déjà, la tendance « zéro déchet » faisait des adeptes. Du lot, Colin Beavan, citadin de Manhattan qui décidera, à la suite d’une gageure qui prendra une ampleur insoupçonnée avec sa femme, de réduire au maximum son empreinte environnementale.
Dans ce récit, on suit pas à pas le cheminement mental, mais également les actions concrètes, de cet homme qui a fait de ses idéaux sa réalité, armé de courage et de créativité. Mais le tout n’est pas sans embûches, bien entendu: il a une femme qui adore la fourrure, un jeune enfant à élever sans réfrigérateur, neuf étages à monter sans ascenseur pour se rendre à son appartement, etc. Un livre qui plaira à tous ceux pour qui prendre soin du climat par la réduction de leur empreinte carbone est devenu une priorité.
10. Faunes, Christiane Vadnais (Altó)
Dans Faunes, c’est la nature qui prend sa revanche sur l’Homme, qui réclame son dû sous différentes formes. Avec son écriture sensuelle et biologique qui hameçonnera le lecteur, ce recueil de nouvelles dont toutes les histoires sont liées évoque des espèces qui mutent étrangement, des animaux sauvages qui en ont beaucoup à nous apprendre, des tempêtes qui se déchaînent et avalent tout ce que l’homme a construit pour ne laisser que la nature dans son plus simple apparat.
Toujours à la limite du réel, avec une touche de fantastique, ce premier livre de la Québécoise Christiane Vadnais embaume d’ambiances volontairement étranges et nous laissent un goût en bouche : celui de la nature qui fait son appel et qu’il vaudrait mieux respecter.