Quatre mille ans. Quatre mille ans de guerres, d’horreur, de massacres. Quatre mille ans d’exils, de quêtes identitaires souvent vouées à l’échec. Au théâtre de Quat’sous, Olivier Kemeid remonte L’Énéide, pièce portant sur l’éternelle quête des réfugiés, jetés sur les routes du monde par ce qui est trop souvent attribuable à la bêtise humaine.
Centrée autour du personnage d’Énée, qui a d’abord fui les murs enflammés de Troie, après la prise de la ville par les Grecs, l’oeuvre s’appuie cette fois sur le passé de Sasha Samar, comédien d’origine ukrainienne qui n’a pas été contraint à l’exil par la guerre, mais plutôt des suites de l’effondrement du Bloc soviétique. Le voilà en Énée, personnage sacré chef de ce qui reste de son peuple. À travers un périple évoquant tout autant les tribulations antiques que les voyages périlleux des réfugiés syriens et nord-africains, il portera son message d’espoir et de détermination pendant des mois, histoire de trouver la terre promise.
Combiner l’époque antique et les temps modernes n’est pas une mauvaise idée, tant s’en faut. À l’exception des moyens de destruction employés, en effet, peu de choses distinguent le sac de Troie de l’anéantissement d’Idlib, par exemple, ou d’une autre localité du Moyen-Orient. Ce qui accroche, cependant, c’est cette volonté d’insérer des moments de rigolade au travers d’une histoire fondamentalement dramatique. Peut-être le metteur en scène voulait-il détendre quelque peu l’atmosphère? On aurait pourtant souhaité que le propos demeure grave. Comment prendre au sérieux, en effet, l’exode d’un père et de tout un peuple, à travers le sang et les larmes, si on ajoute quelques gags à la chose?
On apprécie d’ailleurs que l’actrice Olivia Palacci, justement connue pour ses rôles davantage portés vers l’humour, ait l’occasion de donner dans le drame et la douleur, un changement de ton qui est particulièrement réussi.
Impossible, hélas, d’encenser au même titre les autres comédiens qui partagent la scène du Quat’sous. Si l’interprétation est souvent juste, elle tombe parfois en panne au plus mauvais moment. Est-ce dû au stress des premiers soirs? La pièce avance ainsi, parfois cahin-caha, sans que l’on ne décroche complètement, mais on se prend parfois à regarder sa montre. Est-ce à dire que L’Énéide n’est pas au point? Que la pièce est ennuyante? Que le propos n’est pas approprié? Bien au contraire! Simplement, ce sentiment de désespoir, cette impression que la tâche est éternelle et insurmontable, cette sensation d’urgence, ce goût de révolte devant ces images tant de fois diffusées de corps en lambeaux, de petits garçons noyés, de villes détruites, tout cela se dérobe parfois sous nos pieds, et le public revient alors sur terre, bien installé dans une salle d’un théâtre montréalais, rompant temporairement le charme.
L’Énéide, texte et mise en scène d’Olivier Kemeid. Avec Sasha Samar, Tatiana Zinga Botao, Étienne Lou, Igor Ovadis, Mounia Zahzam, Olivia Palacci, Marie-Ève Perron, Luc Proulx, Philippe Racine et Anglesh Major.
Présenté au Quat’sous jusqu’au 28 septembre.