Mieux mesurer la consommation de drogue en testant… l’urine des utilisateurs de substances autorisées (ou non) qui se retrouve dans les égoûts municipaux: Statistique Canada a dévoilé lundi les résultats d’un projet pilote visant à tracer un portrait plus juste de la consommation de drogue au pays.
Dans une note d’information publiée sur son site web, l’agence fédérale dit travailler, depuis deux ans, à mettre à jour ses programmes statistiques « afin de mieux saisir les répercussions sociales et économiques de la légalisation du cannabis, ainsi que du mauvais usage des opioïdes et d’autres drogues dont le risque de consommation abusive est plus élevé ».
S’appuyant sur le fait qu’il est difficile d’obtenir des réponses honnêtes dans le cadre de questionnaires transmis aux Canadiens, Statistique Canada s’est tournée vers une méthode appelée épidémiologie fondée sur les eaux usées (EEU), qui est déjà employée en Europe, depuis 2007, pour évaluer la consommation de divers types de drogues dans les grandes villes.
L’idée du projet pilote est simple: en prélevant des échantillons dans les eaux usées des grandes villes, il est possible d’y déceler des traces de cannabis et d’une dizaine d’autres drogues pour déterminer si les données obtenues peuvent bel et bien servir à estimer la consommation de drogues au fil du temps.
Le projet pilote en question a été mené dans les villes d’Halifax, Montréal, Toronto, Edmonton, ainsi que dans la région métropolitaine de Vancouver, et concernait donc un total hypothétique de 8,4 Canadiens, soit un peu moins du quart de la population du pays.
Pour ce qui est des drogues que Statistique Canada cherchait à détecter, on retrouve bien sûr le cannabis, mais aussi des opioïdes (coidéine, fentanyl, héroïne, morphine, oxycodone, etc.), ainsi que des stimulants (amphétamine, cocaïne, ecstasy et méthamphétamine).
Les eaux usées de chaque site – pour un total de 14 usines de traitement des eaux usées – ont été échantillonnées au moins toutes les 30 minutes pendant sept jours consécutifs, à partir du deuxième lundi de chaque mois, de mars 2018 à février 2019.
Des populations (pas trop) droguées
Et qu’en est-il des résultats? Pour ce qui est du cannabis, la consommation a largement varié entre mars 2018 et février de cette année, passant de moins de 200 grammes par millions de personne par semaine en consommation théorique, en juillet, à plus de 1400 grammes au mois de mai.
Étrangement, d’ailleurs, la consommation s’est avérée être particulièrement élevée en mai, avant de redescendre rapidement, en juillet, puis de remonter peu à peu pour atteindre un deuxième pic, en décembre 2018. Est-ce l’arrivée des vacances des Fêtes qui a stimulé le désir de s’allumer un joint? Statistique Canada dit être incapable d’expliquer ces fortes variations. C’est par ailleurs à Halifax, puis à Montréal, que l’on a retrouvé les plus fortes concentrations de THC, l’agent psychoactif du cannabis, par habitant.
En ce qui concerne la cocaïne, la consommation semble avoir été plus forte en mars et décembre; cette fois, c’est à Vancouver et à Halifax qu’on semble en avoir le plus consommé. Toronto déclasse également Montréal, mais de peu.
Et pour les opioïdes, enfin, Statistique Canada s’est heurtée à un problème: plusieurs de ces produits se dégradent rapidement dans l’eau, lorsqu’ils se retrouvent dans les égoûts, ce qui rend leur détection difficile. Par ailleurs, bon nombre d’entre eux se transforment en morphine, qui est stable et mesurable, certes, mais qu’il est ensuite impossible à attribuer à un opioïde en particulier.
En évaluant la présence de codéine dans les eaux usées, cependant, il est ainsi de constaté qu’il existe d’importantes disparités entre les grandes villes du pays, alors qu’il semble se consommer environ 15 fois plus de cette drogue à Edmonton qu’à Montréal, par exemple.
L’agence fédérale espère pouvoir affiner ses méthodes de détection, le cas échéant, pour avoir une meilleure idée de l’ampleur de la crise des opioïdes qui ravage entre autres Vancouver, histoire de mettre au point des outils plus appropriés pour la combattre.
« Il faut des données sur la quantité totale d’opioïdes d’ordonnance par province ou territoire et, idéalement, pour les régions métropolitaines. Cela permettra d’estimer la proportion du signal de la morphine présent dans les eaux usées qui est probablement attribuable à une consommation non prescrite », plaide ainsi Statistique Canada, en plus de préciser que la future légalisation des produits comestibles contenant du THC viendra transformer le portrait de la consommation de cannabis sous une forme ou une autre.