Compétent et actuel, Fabuleuses a certainement cette piqûre nécessaire pour intéresser et attirer l’attention, ironie d’usage face au sujet. Dommage que comme la majorité de ce qui se fait, le film se contente de seulement effleurer la surface de tout ce qui cloche avec notre société en ne prenant jamais la peine de pleinement développer ou même de complètement articuler ses personnages ou son propos.
Pourtant, tout est là et tout devrait y être. De notre rapport à la technologie en passant par notre désir de popularité, jusqu’à cette perspective ultimement féministe, Fabuleuses s’attaque au sujet des influenceuses avec un panache certain.
C’est classique, pourtant, et régulièrement prévisible, ce qui n’est pas toujours un défaut. On y suit la vie monotone et sans répercussion de deux esprits libres et intellectuels qui voient leur vision de l’intégrité mise à l’épreuve lorsqu’une influenceuse croise par hasard leur chemin.
Bien sûr, on ne s’attend pas à réinventer la roue et plusieurs influences sont évidentes, All About Eve parmi les principales, mais dans ce récit d’inspiration, de création, d’ascension, de chute et d’amitié au féminin, disons que Fabuleuses est loin d’être un Mistress America. Les stéréotypes et les clichés (pas juste ceux qu’elles prennent continuellement avec leurs téléphones) ne sont décidément jamais très loin.
De fait, la prise de position n’est pas facile et en tentant maladroitement de se nuancer, le film perd de sa pertinence. On comprend bien sûr le désir de marier le drame à la comédie, tout comme de comprendre ou même de justifier, et ce sans tomber dans la condamnation facile, surtout lorsqu’il est question de protagonistes auxquelles il faut traditionnellement s’attacher. Sauf qu’à une époque où l’on a de moins en moins peur d’oser avec des personnages détestables ou de prendre des directions qui ne vont pas toujours vers ce qui est recommandable, on se désole que le film soit davantage concentré sur son désir de rassembler, tout comme celui d’être aimé.
Surtout que son public cible est loin d’être évident, comme les adultes s’offenseront de cette décadence et de cette certaine perversion de la jeunesse et de la société, alors que les plus jeunes n’y auront pas accès face à cette sexualité allumée, cette nudité pas toujours justifiée et ce côté graphique qui ose sa vision de la liberté avec des tampons ensanglantés.
Bien sûr, la comparaison la plus évidente demeure Ingrid Goes West, folie totalement délirante d’il y a deux ans qui inversait le principe de la télé-réalité et des The Truman Show et compagnie, pour l’actualiser face à notre époque tout en jumelant le tout judicieusement à la solitude et la santé mentale.
C’est en s’empêchant de mêler cet aspect à sa production que Fabuleuses souffre un peu. Jamais trop clair s’il veut tomber dans la parodie ou dans la représentation purement réaliste, la compétence du film se retrouve dans chaque recoin. Le long métrage est bien fait, sa réalisation est dynamique, ses interprètes sont dévouées, alors que Juliette Gosselin continue d’épater, Mouania Zahzam d’équilibrer le trio dans le déséquilibre, et Noémie O’Farrell d’évoquer Alexa-Jeanne Dubé. Le travail de recherche est habile et quiconque s’est un peu penché sur le phénomène des influenceurs y retrouvera la majorité des aspects n’en déplaise à quelques détours plus caricaturaux incluant un personnage exagéré interprété par une Geneviève Boivin-Roussy qui mérite un petit peu mieux.
Malgré tout, la réflexion se perd. Qu’en est-il vraiment de l’intégrité, de la façade qu’on s’invente, de cette solitude grandissante, de l’importance vaine de la scolarité et, bien sûr, de ce féminisme qu’on ne sait plus trop comment aborder, de cette acceptation de soi et de son corps, tout comme de ce désir d’être aimé, de la nécessité d’être en couple ou au mieux, de pleinement s’affirmer, coûte que coûte? Le fait est que les pistes pour tout cela s’y retrouvent sans mal, sauf que tel un preux chevalier sur un cheval blanc, l’infime possibilité d’approfondir ne serait-ce qu’une seule de ces voies se voit constamment secourir par ce message a priori fort sur l’amitié et sur ce trio dépareillé qu’on essaie d’élever au-dessus de tout.
Le rapport de force n’est pas toujours habile, les beaux gars sont des idiots et le gentil est un douillet qui n’hésite pas à se féminiser, et il y a évidemment ce cliché vivant de l’anarchiste à l’orientation libre et aux convictions coulées dans le béton. Bien sûr, Mikhaïl Ahooja prend son pied avec un des moments les plus réussis du film, semblant directement sorti de XOXO, mais les rires sont loin d’être évidents.
Cela est probablement imputable au fait que l’idéologie du film porte à confusion. Au-delà de répliques qui résonnent fortement à l’oreille, que pense-t-on vraiment de ces femmes-objets, de l’hyper sexualisation, du manque de consentement, de se vendre en se transformant en produit pour faire de l’argent, de voir sa vie s’écrouler lorsqu’on décide de s’écouter, de la trahison, de la jalousie. Bref, on est loin d’être capable de s’expliquer ce que le film veut dégager comme message et on ne peut pas tout mettre sur ce simple désir d’ouvrir la discussion à défaut d’y apporter les réponses.
On regrette alors que malgré ce reflet souvent révélateur sur notre société et notre époque, que le film simplifie beaucoup trop de choses en se rapprochant trop souvent d’un conte de fée en termes de narrativité (la petite fille élevée par sa mère face au père absent), utilisant le drame et les problèmes seulement pour pimenter un peu le récit au lieu de l’enrichir (problèmes d’amendes impayées, comme quoi la richesse n’est qu’une illusion). Fabuleuses demeure donc une offrande en demi-teinte, bourrée de malaises, belle sur le coup, mais vide de contenu, malheureusement.
5/10
Fabuleuses prend l’affiche dans certaines salles ce mercredi 21 août et à plus grande échelle ce vendredi 23 août.
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