Nouvelle série d’entretiens publiés sur Pieuvre.ca, Les jeux préférés de… donne l’occasion de rencontrer des acteurs parfois méconnus du monde du jeu vidéo et de mieux comprendre leur métier. Aujourd’hui, Xalavier Nelson, auteur, développeur et gestionnaire de projet, se prête à l’exercice.
Xalavier Nelson roule sa bosse depuis déjà une dizaine d’années dans le monde du jeu vidéo. Et pourtant, on aurait de la difficulté à le croire, puisque le jeune homme établi à El Paso, au Texas, n’a que 21 ans.
« Ce que je fais aujourd’hui (dans l’industrie) a beaucoup changé dans la dernière année, environ », mentionne celui qui a entre autres été auteur sur divers projets de jeux vidéo, et qui gravite plutôt vers la gestion, aujourd’hui.
« J’ai commencé à 12 ans comme journaliste spécialisé en jeux en prétendant être plus vieux que je ne l’étais pour obtenir des copies de presse destinées à mon blogue WordPress… Je voulais débuter dans l’industrie; il y a tant de gens qui veulent se lancer dans ce métier et qui finissent par se brûler et quitter l’industrie avant de réaliser ce qu’ils voulaient y faire. Je me disais que je voulais simplement me lancer dans l’industrie. Puis, je me suis dit que je voulais uniquement écrire pour des jeux, plutôt que sur des jeux. Par la suite, j’ai trouvé que je voulais m’intéresser à l’aspect narratif des jeux selon une perspective plus cohérente, pas seulement avec les mots des dialogues, ce qui m’a mené à la gestion, au design, à la direction de projet… », a-t-il poursuivi.
« Je me suis demandé si je pouvais m’appeler un directeur de projet… C’est essentiellement ce que je fais, en contribuant à l’efficacité du processus, de mes collègues et employés. Je me penche sur tous les éléments d’un jeu pour déterminer de quelle façon ils peuvent être utilisés pour offrir ce que veulent les joueurs et mes employeurs. »
Xalavier Nelson précise qu’au moment de se lancer dans l’industrie, il tenait plusieurs créateurs en haute estime… mais que les réalités du métier ont rapidement ébranlé sa vision du monde: « Il y avait ces gens que je prenais pratiquement pour des dieux… mais un an plus tard, j’ai constaté que ces personnes que j’estimais fortement étaient parties, ou avaient quitté l’industrie, ou n’avait plus donné de nouvelles depuis des mois. J’ai vu ce processus se répéter pendant des années, et ça m’a inquiété… j’ai fini par penser que l’industrie attirait de nouvelles personnes, les utilisait et les jetait ensuite aux ordures. »
Après quelques années à travailler dans l’industrie, le jeune homme a tenté de suivre des cours à l’université, histoire de « suivre le parcours habituel ». Bien mal lui en prit, puisqu’il continuait de travailler dans l’industrie pendant ce temps-là. Si ses notes étaient très bonnes, « je dormais environ trois heures par nuit, j’étais une loque… je tentais de faire coexister l’université, qui est un environnement malsain s’appuyant sur les périodes de travail intense, avec l’industrie des jeux vidéo, qui est un environnement s’appuyant lui aussi sur les périodes de travail intense! », raconte-t-il.
Quand l’idéalisme se heurte au réalisme
En étant à la fois observateur de l’industrie du jeu vidéo, dans les premières années de sa carrière, ainsi qu’acteur au sein de cette même industrie, en tant que développeur, scripteur, gestionnaire, directeur de projet, etc., Xalavier Nelson a éventuellement compris que s’il était essentiel de se battre pour obtenir de bonnes conditions de travail, et ainsi éviter le même cycle vicieux d’embauche, de burn out, puis de mises à pied à la fin d’un projet, lorsque le jeu souhaité est finalement lancé, il fallait aussi tenir compte du fait qu’il était impossible d’éliminer entièrement les périodes de stress et de travail intense.
« Par exemple, s’il est 3h du matin, et que j’ai le choix de continuer à travailler pendant trois heures autres pour terminer un projet » tout en étant épuisé, « ou de remettre le travail à plus tard », il est nécessaire de tenir compte du fait qu’un tel report, particulièrement dans un contexte de travail à la pige, « aura un impact sur toutes les étapes subséquentes du processus de production », et donc sur d’autres travailleurs qui devront à leur tour travailler d’arrache-pied pour respecter les délais.
Le réalisme, c’est aussi se heurter à des événements tragiques qui transcendent toutes les sphères d’activité d’une vie, que celle-ci soit consacrée aux jeux vidéo ou à un autre domaine d’activité.
Au bout du fil, la voix de Xalavier Nelson se fait hésitante pendant quelques secondes. « J’habite à El Paso, finit-il par dire, où il y a eu une fusillade mortelle. Et autant j’essaie de ne pas laisser cet événement m’affecter, cela a forcément changé la façon dont je voyais cette ville. »
« Je pensais que je quitterais cet endroit sécuritaire, cette petite zone du Texas, près du Mexique, où les gens sont si gentils, et je pensais que je m’en irais de cette ville pour aller habiter dans des endroits plus « dangereux », comme New York ou Londres », ajoute le jeune homme, en évoquant la tuerie de masse survenue il y a deux semaines, lors de laquelle un homme, qui avouera par la suite avoir « ciblé des Mexicains », a ouvert le feu dans un magasin Walmart et fait 22 victimes à l’arme automatique.
« Cette idée d’un endroit sécuritaire vers lequel je pourrais toujours retourner a été altérée. Et lorsque cela s’est produit, et que j’ai parcouru la liste des gens que je connaissais à El Paso, et que je me suis rendu compte que j’aurais à les appeler pour m’assurer qu’ils étaient en sécurité parce que les noms des victimes n’étaient pas publics… »
« Étrangement, poursuit-il, je n’ai pas douté que mon travail était toujours important, parce qu’il y a cette inquiétude, dans l’industrie, par rapport au fait que la planète brûle, il y a les changements climatiques, des épisodes violents et de l’injustice partout autour de nous… Pourquoi ferions-nous des jeux? Mais je n’en ai pas douté pendant un instant. Parce que s’il y a quelque chose que j’ai appris, que je considère comme vérité fondamentale, c’est que les jeux méritent d’être produits parce que les humains sont la somme de ce qu’ils vivent. Chaque fois que nous créons de nouvelles choses, que ce soit un jeu de tir AAA ou un petit jeu indépendant à propos d’androïdes qui se questionnent sur leur humanité, nous faisons apparaître quelque chose de pertinent dans notre monde, puisque les gens jouent à nos créations et sont affectés par celles-ci. »
Un palmarès bigarré
Et qu’en est-il des jeux préférés de Xalavier Nelson? Son palmarès coloré emprunte, sans surprise, autant aux jeux AAA – ceux produits par les grands studios –, qu’aux créations indépendantes.
- Planescape Torment
- « Ce jeu a changé la façon dont je vois le design narratif et l’idée du jeu de rôle en tant que tel. J’y ai joué parce que je n’avais pas de connexion internet, et que c’était téléchargé (de la boutique) GOG, alors il n’y avait pas de DRM… Je n’avais pas accès à Steam, c’était l’un des rares jeux sur mon ordinateur qui n’avait pas besoin de connexion au web, et j’ai fini par passer à travers en peu de temps, parce que l’expérience m’a si profondément affecté. Ce n’était pas une question de monter de niveau ou d’assigner des points de compétence, mais plutôt de faire progresser mon personnage selon la façon dont je voulais lui faire voir le monde. »
- Peter Jackson’s King Kong
- « C’est un jeu publié par un éditeur gigantesque (Ubisoft) avant qu’il ne devienne omniprésent et connu pour ses jeux en monde ouvert. C’est un titre qui s’appuie entièrement sur l’improvisation et un sentiment d’urgence. C’est toujours aussi excitant aujourd’hui, et, de plus, c’est rétrocompatible sur Xbox One! »
- Dropsy
- « Un jeu créé par mon collaborateur sur Hypnospace Outlaw, Jay Tholen, il permet de voir ce qu’est l’expression de croyances religieuses dans les jeux, lorsque vous ne faites pas l’équivalent d’un jeu de propagande. Dropsy m’a montré qu’il était possible d’exprimer sa foi, simplement via les actions effectuées dans le jeu. Avoir l’occasion de travailler avec Jay par la suite a, encore une fois, profondément transformé la façon dont je voyais le développement des jeux vidéo et ce qui était possible dans cette industrie. »
- Lemma
- « J’ai beaucoup d’amour pour ce jeu de parkour imparfait, où la façon dont vous vous déplacez a une influence sur le monde qui vous entoure. Ainsi, lorsque vous commencez à courir sur des murs, une extension des murs en question va être créée, ce qui va changer la façon dont vous voyez votre environnement. On y trouve un style incroyablement unique, et je l’aime vraiment beaucoup. »
- The Evil Within 2
- « Il s’agit du jeu en monde ouvert le plus brillant que j’ai vu. Il utilise les concepts de la science-fiction de série B, et y ajoute une dose de survival horror et de liberté en monde ouvert pour créer cette fusion des genres intoxicante. Vous explorez pour obtenir les ressources nécessaires à votre survie, mais au fur et à mesure que vous explorez, vous découvrez ces scénarios personnalisés qui prennent de l’ampleur, et qui nécessitent à nouveau de l’exploration pour trouver les ressources qui vous permettront de surmonter ces obstacles, et ainsi de suite. C’est l’un des systèmes les plus solides que j’ai pu voir dans un jeu, c’est excessivement excitant et amusant, et c’est l’un de mes jeux favoris de tous les temps. »
- Desolation of Mordor (Middle-earth: Shadow of War)
- « C’est un peu étrange d’ajouter ce nom à une liste de jeux favoris, mais cette expansion pour Shadow of War se concentre sur Baranor, un personnage jouable dans l’univers du Seigneur des Anneaux. Baranor est un homme noir qui occupe une position importante, en plus de disposer de puissants pouvoirs et habiletés. Pendant mon adolescence, mon héros était Aragorn, mais à un certain âge, j’ai réalisé que je ne pourrais jamais être Aragorn parce que je n’avais pas la bonne couleur de peau, parce que je ne pouvais pas faire pousser mes cheveux à la bonne longueur… J’ai réalisé que je ne pourrais pas me déguiser en Aragorn. J’étais un enfant et je regardais ce dieu du cool à l’écran qui sauvait aussi des Hobbits. Dans Shadow of War, le fait de pouvoir jouer un personnage noir, le fait d’avoir un contenu supplémentaire complet qui portait sur ce personnage a indiqué qu’il y avait une place pour moi, dans cet univers, une place qui m’était auparavant interdite. »
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