Trou noir, clair-obscur, photographie, black métal, éclipse : des facettes qui incarnent l’obscurité à leur tour, mais cette soi-disant absence de lumière nécessite un cadre pour la désigner telle quelle. Entre documentaire et vidéo d’art, Aleph Null & The Missing Mass (2017) du cinéaste norvégien Tor-Finn Malum Fitje plonge dans cet abyme sans dégager notre siège de spectateur.
À première vue, ce long-métrage consiste en un long montage d’extraits vidéo tirés de vulgarisations scientifiques, du cinéma de science-fiction, d’entrevues, de captures d’écrans et autres séquences portant sur l’objet de l’obscurité. Cependant, le cinéaste ne cherche pas à démontrer la nature de son existence ni à représenter l’obscurité sous forme de fiction. Suivant le fil du montage, la narration de ce film interpelle l’intellect autant que l’affect du spectateur sans l’abandonner dans un imaginaire univoque, au point d’y ressentir un certain vide.
Que l’on se réfère au film Hyphenic (2018) sur le langage biosémiotique de la moisissure ou à Aleph Null & The Missing Mass (2017), les films de Tor-Finn Malum Fitje ne sont pas aussi intelligibles qu’il y paraît. Sa démarche cinématographique propose d’emblée une réflexion sur la perception, le sens de la vision en particulier. Dans l’extrait où un enfant explique la valeur mathématique d’Aleph ou «ℵ0» devant sa webcam, il est possible d’y voir une mise en scène déroutante. Esquissant des graphiques qu’il efface aussitôt, ce qu’on retient du tutoriel de ce surdoué relève de l’aspect graphique de sa prestation, trouvant écho dans le montage d’ensemble.
Insérant un parallèle entre le forage en haute mer et la popularité de la musique black métal en Norvège, le cinéaste s’interroge sur la matérialité d’une valeur obscure. Si le pétrole permet de constituer le plus important fonds souverain au monde pour assurer l’avenir des prochaines générations de ce pays nordique, plusieurs jeunes se maquillent, se déguisent et adoptent un mode de vie évoquant les forces occultes d’une façon assez singulière.
Ce compromis environnemental en mer du Nord retranche la Norvège de la dépendance économique envers d’autres pays, dont la puissance mondiale des États-Unis.
Épaisseur de l’impalpable
Comique pour son exagération dramatique, le paranormal de la culture télévisuelle américaine ne ménage pas les interprétations pathétiques pour définir le «Black Goo». Cette masse noire, qui apparaît dans les environs ou qui est déjà-là sans qu’on l’ait encore vu, avale des «choses». Une jeune femme se fait avaler dans un film d’horreur, ensuite une autre jeune femme dénonce l’abondance d’éléments issus de la pétrochimie dans ce qu’elle consomme lors d’une entrevue. Ainsi, cette tendance à anthropomorphiser le Mal est soulignée par la continuité du contraste de deux sources.
Avec le Vantablack, l’obscurité revêt la consistance concrète de la peinture noire la plus profonde jamais réalisée. Alors que la façon de monter du cinéaste nous sensibilise à l’idée de «déclassement de la raison» de la spécialiste de l’Afrique et des institutions européennes, Anne-Cécile Robert définit dans l’essai La stratégie de l’émotion parue en 2018: «l’émotion abolit la distance entre le sujet et l’objet; elle écrase les échelles temporelles; elle empêche le recul nécessaire à la pensée; elle prive le citoyen du temps de la réflexion et du débat».
En référence à la philosophie de Markus Gabriel, pourquoi ne pas voir ce film comme un anti-film qui nous place devant la vacuité engendrée par le fait de considérer des théories scientifiques comme étant absolues?
Pour joindre l’artiste: torfinnmalumfitje.com
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