La course évidente à la diversité s’intensifie d’année en année, et si certaines propositions s’avèrent davantage opportunistes, il demeure néanmoins des productions de haut calibre qui s’intéressent littéralement à la culture ciblée. Le magnifique The Farewell en fait partie, laissant une autre réalité parler d’elle-même pour mieux nous subjuguer.
On pourrait croire que l’Asie n’a pas besoin de plus de visibilité. Après tout, sa population est imposante et son industrie cinématographique s’auto-suffit amplement. Pourtant, sa représentation à Hollywood et ailleurs dans le mode peut s’avérer régulièrement problématique, reléguée à des rôles de soutien habituellement ridicules ou absurdes et trop souvent associés à des stéréotypes.
Pour beaucoup, l’Asie c’est la folie du Japon et les arts martiaux; pourtant, à l’image de leur culture, et même tout dépendant les secteurs, l’Asie est plus que cela. En s’étant approprié le genre de la comédie romantique, Crazy Rich Asians a pu sembler anodin dans le pas vers une représentation plus juste d’une autre réalité, mais celui-ci était aussi majeur qu’amusant.
Sans délaisser le désir de plaire et de satisfaire, The Farewell se penche plutôt du côté du drame, s’inspirant d’une histoire vraie pour y apporter nuance et profondeur. Comme toujours, le certain combat entre l’Orient et l’Occident est inévitable, mais sa quête identitaire est universelle, à l’instar de sa réflexion sur la famille et la mort.
Bien sûr, le long-métrage vaut d’abord et avant tout pour la finesse instinctive de Lulu Wang, qui a su écrire et réaliser un film personnel d’une grande richesse. Avec maîtrise, tout est bien calculé, son regard est vif, les répliques frappent par leur humour et/ou leur justesse et le rythme fluide multiplie les émotions en complexifiant constamment la prémisse.
En Chine, on croit qu’il est préférable de ne pas annoncer à un mourant sa réalité et de le laisser finir ses jours en paix et dans une ignorance qu’on considère bénéfique. Billi a de la misère à se souscrire à cette pratique et, à un moment où sa vie bat de l’aile, elle ne sait pas sur quel pied danser lorsqu’elle décide de participer à la mascarade du mariage précipité d’un cousin pour pousser toute la famille à y voir la mourante une dernière fois.
Le long-métrage doit également beaucoup à la force de sa distribution. Bien sûr, chaque acteur y apporte sa contribution et l’interprétation colorée de Shuzhen Zao semble par moment s’être échappée d’un film de Kore-Eda, évoquant certainement le jeu taquin de Kirin Kiki. Sauf que c’est sans conteste Awkwafina qui se retrouve avec la majorité des éloges et ce, avec raison. Celle qui a joué les contreparties tantôt inutile dans Ocean’s 8 ou Neighbors 2: Sorority Rising, tantôt délirante dans le fameux Crazy Rich Asians, trouve ici un rôle immense qui lui permet de mettre de l’avant son talent infini.
Avec doigté, la rappeuse Awkwafina parvient sans mal à incarner la mince ligne entre deux réalités. Le dilemme difficile entre deux univers qui ont autant leur pour que leur contre. Elle est cette protagoniste rassembleuse qu’on reconnaît, qu’on comprend et à laquelle on peut rapidement s’identifier. On y voit les enjeux et on est soulagé que ce soit elle qui doit y faire face puisqu’on ne pourrait certainement pas mieux résoudre tous ces problèmes.
On se laisse ensuite bercer, grandement aidé des délicates compositions de Alex Weston, et on s’imbibe, complètement sous le charme du montage délicat prenant grand soin de la beauté naturelle et souvent coquine des images. Dépendant de notre connaissance de l’Orient, voilà un long-métrage américain qui peut définitivement être très dépaysant, notamment dans leur rapport aux émotions visibles ou personnelles.
Oui, bien sûr, il y a ces discussions en langue originale qui poussent le public à lire des sous-titres (on joue d’ailleurs ici et là sur l’usage de l’anglais ou du cantonais, dépendant des personnages qui interagissent entre eux), mais il y a aussi ce sentiment d’unité, cette présence de la famille qui cuisine ensemble et qui se mélange entre eux, gardant les différents enfouis jusqu’au moment où ils n’ont plus d’autres choix que de remonter à la surface.
Cela semble-t-il familier? Disons que les conflits familiaux, si les circonstances et le moyen de les gérer peuvent différer d’un endroit du globe à un autre, tout dépendant des mœurs bien sûr, demeurent quand même bien des conflits familiaux au final.
C’est donc en rendant universel le regard à la loupe d’un microcosme précis que Wang réussit le mieux son film. Elle gagne sans mal le pari de nous faire comprendre sa réalité en restant intègre à sa représentation sans tomber trop facilement et durement dans les pièges de Hollywood et sa façon de tout modeler sous un même moule ou de tout romancer à tort. En ne perdant jamais de sa fibre personnel, The Farewell devient sa propre expérience, sa propre réflexion, sa propre réussite.
Et ce cri du coeur, pris littéralement au pied de la lettre, devient alors une part de nous, nous prouvant à nouveau la force ultime du septième art, de cette capacité de rassembler et d’unifier malgré tous les différents. En espérant que le cinéma américain en comprenne la leçon. Pour les autres, personne ne voudra rater ce très beau film.
8/10
The Farewell prend l’affiche en salles ce vendredi 26 juillet.