Il est ironique qu’après le certain silence qui a suivi le scandale modéré menant au nombre réduit de douze finissants au lieu de treize pour la cohorte 2019 de l’École nationale de l’humour (ENH), ce soit avec une chanson sur le consentement qu’on a voulu ouvrir le spectacle des finissants de l’école, poussant les humoristes de la relève à demander le consentement du public pour les faire rire et ainsi débuter cette soirée présentée dans le cadre du Festival Juste pour Rire.
Il s’agit-là d’une idée marquée par ce désir évident de connecter, qui n’a pas toujours porté fruit pour ces belles bouilles énergiques.
L’ensemble débutait avec une prémisse intéressante, soit le concept de la douane de l’humour. Tout en présentant rapidement les visages qu’on verra individuellement sous peu, le tout dans une mise en scène efficace de Guillaume Chouinard qui use habilement de projections sans qu’elles accaparent tout l’espace, on passait également en revue les tics les plus prévisibles de l’humour, des blagues cochonnes à celles d’handicapés, en passant par l’humour par le biais d’objet ou par l’incarnation de personnages, pour remettre en question une certaine fatigue humoristique.
Beaucoup de styles étaient donc passés en revue, illuminés par cet éclair de génie forçant le public à raffermir ses attentes et le rendre confiant pour la suite.
Malheureusement, c’est peut-être avec ce désir conscientisé de vouloir innover sans se faire étiqueter que les humoristes se sont ainsi empêchés de voler véritablement de leurs propres ailes.
De fait, avec beaucoup de volonté et d’honnêteté, ceux-ci se lancent à fond dans l’humour et il est impossible de les assigner véritablement à une seule catégorie, déjouant constamment les apparences. Sauf qu’en essayant de ne pas être quelque chose de précis, en marchant sur des œufs pour se permettre un style caméléon, ils finissent par ne pas représenter grand-chose autre que leur bon vouloir.
De fait, Marie Héron – surnommée Mamaz – a beau utiliser un savant concept de speed-dating pour incarner différents personnages, dont un pastiche appliqué de l’accent québécois, il n’en demeure pas moins une réflexion intéressante sur les rencontres amoureuses en plusieurs temps, mais à un seul comédien.
De leur côté, s’ils ne peuvent passer sous silence leurs handicaps, William Bernaquez (qui évoque énormément James Mannella en moins éclaté dans sa manière de s’exprimer) et Angelo Schiraldi (loin d’être seulement la véritable incarnation du personnage de Jean-Marc Parent) se permettent d’aller au-delà des clichés habituels pour détourner continuellement les attentes entre un désir de réflexion et d’autodérision bien senti.
Si Vincent Descôteaux et Olivier Foy donnent dans l’anecdotique flirtant avec des réflexions allumées (on pense au « Thaï Express et son décor d’extérieur pour manger à l’intérieur » notamment), ils ne sont pas pour autant des conteurs, divaguant dans tous les sens sans se contenter d’un point A se dirigeant inévitablement vers un point B.
Même chose pour Samuel Vincent, qui malgré son humour basé sur des contradictions ne plonge pas directement dans l’absurde. Ou Maude Lamoureux et le très aisé Pierre-Olivier Forget qui font de l’humour d’observation tout en ratissant large dans leur répertoire, comme de comparer Tinder avec la romance au temps des chevaliers, ou de réaliser que la téléréalité, ce n’est pas si réel que cela, au fond.
Disons qu’à leur façon, ils essaient tous de garder leur vision singulière de notre monde tout en essayant de proposer une manière intègre de la livrer, tout en s’assurant le plus possible d’avoir le public avec eux. S’ils sont tous très à l’aise, certains brillent rapidement. Dominique Allard a le public dans sa main à l’instar de Michelle Desrochers, qui enfile les idées folles les unes après les autres.
Florian Brucker se baigne littéralement dans le cliché du français chiant, lançant que le manque de rires est sûrement face à la finesse de son humour et qu’il n’est pas seulement baveux, mais littéralement un trou de cul. Ses textes ne sont pas nécessairement les plus frais, mais sa répartie est d’un naturel foudroyant.
Sauf que bien sûr, le grand dessert, puisqu’il n’a pas été choisi pour clore le tout pour rien, c’est certainement la folie calculée de Jean-Michel Martel qui vole littéralement le show (et dans le sens figuré de l’expression bien sûr puisque le show appartient à tout le monde à la fin). Lui qu’on connaît surtout pour ses jeux de mots et ses talent de Photoshop notamment avec les sacs de chips Lays sur internet, se lance dans un cours de dessin délirant qui repousse constamment les limites aux allures simplistes de son numéro. Un grand moment de répartie qui laisse se libérer un univers singulier qu’on a bien hâte de redécouvrir ou de voir s’élargir.
Enfin, on regrette que le spectacle sente au final un peu trop le fourre-tout. Après une mise en bouche prometteuse, on retourne rapidement vers quelque chose de plus convenu. On n’a pas gardé le leitmotiv de l’aéroport, même si l’on revient ici et là sur des éléments de certains sketchs (comme un running gag sur un des membres de l’audience que se partagent plusieurs des humoristes) et, si l’on a réduit les sketchs en guise d’intermède, permettant une fluidité plus rythmé, on ne s’amuse pas vraiment dans les présentations des artistes, qui rappellent trop souvent les présentations riches en malaises des catégories de prix des galas à la télé.
Reste alors une cohorte inégale qui semble s’empêcher de se livrer entièrement. Pris entre leur grande énergie communicative et des textes et/ou des propos en deçà de leurs capacités.
Mentionnons également que cette migration inattendue vers le festival Juste Pour Rire n’est peut-être pas la meilleure décision. Si la Cinquième Salle de la Place-des-arts est effectivement très jolie, cette représentation unique ampute probablement la visibilité. Quelques dates de spectacle au Monument national, durant le Zoofest, demeure probablement encore le choix le plus approprié pour laisser cette relève se réchauffer et commencer à faire parler d’eux.
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