Un voile de mystère entoure souvent le fonctionnement interne des géants technologiques, mais les réponses se trouvent parfois directement devant nous. Une équipe de recherche de Virginia Tech a ainsi récemment découvert des détails importants à propos des rôles joués par Facebook, Google et la Federal Election Commission (FEC) américaine en matière de publicité numérique aux alentours de l’élection présidentielle américaine de 2016.
Katherine Haenschen, professeure adjointe de communications au College of Liberal Arts and Humain Sciences, ainsi que Jordan Wolf, diplômé de la maîtrise en communications de Virginia Tech, ont collaboré dans le cadre de la première étude académique portant sur la façon dont Facebook et Google ont encadré les efforts de la FEC pour réglementer la publicité électorale en ligne.
Les deux scientifiques cherchaient à savoir ce qui avait poussé les deux géants du web à réclamer des exemptions de la part de la FEC, et pourquoi l’agence indépendante n’avait pas été en mesure d’encadrer les publicités numériques en prévision de l’élection de 2016. Leur étude, publiée dans Telecommunications Policy, the International Journal of Digital Economy, Data Sciences et New Media, a porté sur la façon dont les deux plateformes ont évité de dévoiler qui avait payé pour des publicités liées à l’élection.
L’équipe de recherche a analysé des versions numériques de documents disponibles sur le site web de la FEC pour comprendre comment Google, Facebook et la commission elle-même percevaient la nécessité d’afficher des avertissements liés aux publicités avant l’élection. Les auteurs ont examiné des avis juridiques, qui sont les réponses officielles de la commission à des questions sur l’application de la loi financière sur les campagnes fédérales à propos de situations spécifiques. L’équipe a identifié trois avis comprenant 114 documents en lien avec leur étude.
L’analyse de Mme Haenschen et de M. Wolf a permis de mettre au jour certains thèmes persistants. Les plateformes ont démontré, par exemple, à la fois un désir de maximiser leurs profits et une tendance à invoquer les contraintes technologiques pour éviter de respecter les normes – ou une absence de volonté de changer la taille des publicités pour y ajouter les avertissements. Les auteurs ont également noté deux autres thèmes: la possibilité que les publicités numériques trompent le public et l’utilisation d’outils numériques pour remporter des élections.
En ce qui concerne les avis de la FEC, les chercheurs ont constaté que l’agence fédérale avait déjà répondu à des questions sur les publicités numériques en 2010, alors que Google s’interrogeait à ce sujet. Malgré des exigences mises au point dans les années 1970 qui obligeaient le signalement de publicités électorales dans les journaux, à la radio et à la télévision, histoire d’identifier les acheteurs, la commission a permis deux exemptions.
« La première concerne les petits objets, tels des autocollants ou des épinglettes, qui ne possèdent pas l’espace pour y apposer d’avertissement », mentionne Mme Haenschen. « L’autre est l’exemption d’impraticabilité pour les médias lorsqu’il est peu utile d’afficher un avertissement, par exemple les messages tracés dans le ciel, les publicités apposées sur les réservoirs d’eau, ou encore les vêtements. »
Dans leur étude, les deux chercheurs écrivent que Facebook et Google ont recherché à maximiser leurs profits en ce qui concerne les courtes publicités textuelles dont le nombre de caractères est limité, plutôt que d’invoquer les limitations technologiques du médium. Les deux auteurs soutiennent pourtant que les deux plateformes n’ont pas argué que l’industrie des télécommunications ne réglemente par la taille des publicités en fonction de la limite du nombre de caractères.
Au final, la FEC a voté en faveur d’un avis qui confirmait la pratique de Google consistant à inclure un lien vers un site contenant un avertissement en pleine taille. Cependant, la commission s’est divisée en fonction des lignes partisanes, puisqu’on y comptait trois républicains (favorables) et deux démocrates (défavorables).
En rendant cet avis, la FEC n’a offert qu’un cadre minimal visant à permettre de respecter les normes en matière de publicités électorales numériques.
En utilisant le même argumentaire que Google, Facebook a fini par pousser la commission dans l’impasse partisane, créant du même coup un vide réglementaire que les deux entreprises ont exploité. De là à penser que les deux géants ont exploité la FEC à des fins mercantiles, il n’y a qu’un pas que franchissent les deux chercheurs.
Où en sommes-nous en 2019? Après l’annonce d’un examen des règles existantes, seules 14 personnes ont fait parvenir des commentaires à la commission. En 2017, pourtant, quelque 149 772 avis avaient été déposés à propos du même sujet.
De leur côté, les plateformes travaillent à leurs propres solutions. Facebook exige maintenant un avertissement pour toutes les pubs à saveur politique, en plus de vérifier l’identité et l’adresse physique de l’acheteur, et affirme qu’il stockera toutes les publicités du genre dans des archives publiques. Google a mis en place des mesures similaires. Mais le géant de la recherche en ligne continue de plaider contre l’obligation d’afficher un avertissement en lien avec les publicités politiques.
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