Si aujourd’hui la Chine occupe la place de seconde superpuissance, les guerres en Ukraine et en Syrie, ainsi que «l’affaire du Russiagate», évoquent toujours le rapport de force de la guerre froide. Avec le documentaire Meeting Gorbachev (2018), le cinéaste allemand Werner Herzog s’entretient avec le dernier président de l’Union des républiques socialistes soviétiques (1990-1991), Mikhaïl Gorbatchev.
Cet homme âgé qui tente de répondre avec justesse aux questions de son interlocuteur n’a pas été le président de la Russie, mais le dernier dirigeant d’un système basé sur une idéologie alternative au capitalisme. Il s’était donné l’objectif de réformer cette économie fermée en la rendant plus démocratique, mais également plus socialiste. Évitant le faste des voyages diplomatiques de ses prédécesseurs, le politicien caractérisé par sa tache de naissance sur le crâne a visité plusieurs pays, dont le Canada, en vue de modifier cette organisation gargantuesque.
À l’époque, les émules du néolibéralisme, la première ministre britannique Margaret Thatcher et le président américain Ronald Reagan, se frottaient les mains devant la nomination à Moscou d’un dirigeant ouvert aux échanges, Mikhaïl Gorbatchev figurait l’idéalisme et non la force du régime. Né quelque part en campagne dans une famille d’agriculteurs pouvant passer une vingtaine d’heures par jour à bord de leur moissonneuse-batteuse à labourer les champs, le jeune activiste a adhéré au parti communiste, comme son grand-père et son père l’on fait auparavant. Une distinction reçue de son prédécesseur Léonid Brejnev le mène au pouvoir.
Pour certains, un simple changement en URSS allait fragiliser l’ensemble de la structure et conduire le régime à son effondrement étant donné que l’adhésion des pays satellites, dont la Pologne, s’est faite par la force ou du moins à la suite de circonstances historiques extrêmes. Adoptant la pérestroïka, réformes économiques et sociales, et la glasnost, pour plus de transparence, Mikhaïl Gorbatchev voulait donner plus de pouvoir aux républiques tout en les maintenant dans l’union. Cette volonté de lente transformation a vite été bousculée par les nationalismes et des luttes de pouvoir l’amenant à démissionner.
L’influence de l’URSS allait bien au-delà de ses frontières et lorsque le cinéaste aborde les questions géopolitiques, il nous introduit dans un monde de géants. À la suite d’une guerre froide où les blocs de l’Est et de l’Ouest ont terrorisé la population en l’alertant à plusieurs reprises sur les risques d’une guerre ou d’une catastrophe nucléaire, Mikhaïl Gorbatchev a été le défenseur de la dénucléarisation. La réponse des États-Unis était favorable dont la fameuse poignée de main à mi-chemin entre les deux territoires le 11 octobre 1986 à Reykjavik en Islande, alors que le Royaume-Uni s’y opposait catégoriquement.
Werner Herzog évite la lourdeur du documentaire historique en retraçant cette période éclair d’un choix méticuleux d’images d’archives autour du témoignage d’un homme qui a essayé d’améliorer le sort de l’humanité. Son traitement de la réunification de l’Allemagne et des relations germano-russes apporte une nuance intéressante. Avec autant d’aplomb que dans son documentaire Lo and Behold : Reveries of the Connected World (2016), il aborde l’enjeu de l’armement actuel et cette autre diplomatie que l’on cherche à contourner par une main mise économique, commerciale et financière.
Quand un pan de l’histoire se joue en un pivot… à l’affiche depuis le 7 juin.