Poison mortel ou antidote pharmaceutique, la bivalence de ces substances débusquée au fil du temps se décortique dans l’exposition Venenum, un monde empoisonné présenté jusqu’au 8 mars 2020 au Musée de la civilisation à Québec. En parallèle, l’exposition Curiosités du monde naturel regroupe une série d’artéfacts des expéditions du 18e et 19e siècle dans l’optique du naturaliste Charles Darwin, jusqu’au 5 janvier.
Couloir étroit et obscur, c’est par ce passage que le visiteur s’introduit dans la salle d’exposition pour se cogner le nez sur une série de cadres de peintures classiques et photographies anciennes. Dès que le visiteur s’arrête devant un cadre, des éléments de l’image s’animent renvoyant l’impression de divaguer. La première scène illustre Socrate au moment de boire la ciguë, puis la coupe sort du cadre et tombe au sol laissant un filament vert tracer une continuité d’une image à l’autre. Si cette référence à l’Antiquité met l’accent sur le poison qui a tué le philosophe, sa condamnation ou le contexte de son apologie est omis. Pourtant, son argumentation pendant le procès s’est transmise jusqu’à nous par témoignages indirects et envoûte toujours la pensée humaine.
Sauter le premier tronçon portant sur l’histoire et la culture de cette exposition conçue par le musée des Confluences à Lyon, le visiteur retrouvera l’ingéniosité des présentations du Musée de la civilisation de Québec. Les 400 objets et œuvres provenant des collections du musée français sont disposés pêle-mêle, comme si le visiteur errait dans un entrepôt portuaire à travers les cargaisons en provenance de l’étranger. À l’entrée, avant de passer par le couloir noir, un employé nous avertit de ne pas cogner sur les vitres des aquariums et des vivariums contenant des espèces vivantes.
Avec l’intention de poser une veuve noire et un scorpion timides, voisins dans leur cube de verre pour l’occasion, un couple de jeunes retraités essayaient de les photographier avec leur téléphone intelligent. «Hey, une chance qu’il y a une double vitre!», s’exclame à voix basse le monsieur à son épouse après avoir frappé à plusieurs reprises le cube en tentant de centrer l’araignée. «Change donc de place avec moi!», lui répond-elle après avoir autant fait vibrer l’habitacle de la créature jaune à aiguillon. La curiosité rend l’humain vulnérable.
À travers l’histoire et la culture, le premier tronçon nous plonge autant dans l’effet d’une piqûre ou morsure que dans la convoitise piégée, la pomme empoisonnée d’Adam et Ève ou celle des contes de notre enfance par exemple. Ainsi, la transition vers la cargaison de la grande salle se fait par des aquariums lumineux encastrés dans un mur foncé. Les oursins diadèmes, les chrysaoras japonaises, les rascasses volantes, les poissons-ballons et les mini-grenouilles créent un effet de rétention d’humidité.
Dans la zone sèche, la bivalence entre espèces vénéneuses et venimeuses est explicitée avant d’aborder les poisons utilisés pour la chasse par les autochtones des quatre continents dont la mythique sarbacane, les poisons issues de minéraux dont l’amiante et la pharmaceutique dont la pipe à opium.
Une réflexion sur les enjeux de l’écotoxicologie conclue la visite.
Évolution à double tranchant
Après Tokyo, Singapour et Taipei, l’exposition conçue par le National History Museum de Londres a trouvé une niche à Québec pour une première nord-américaine.
Au terme de 30 années d’exploration, d’étude et de recherche, le naturaliste Charles Darwin (1809-1882) a publié L’Origine des espèces en 1859, son audacieuse théorie de l’évolution par la sélection naturelle. «Sensibiliser ses visiteurs à leur environnement est l’ADN du Musée de la civilisation… une conception en constante évolution si l’on en juge le rapport alarmant déposé tout récemment par des experts de l’ONU», a affirmé le directeur général, Stéphan La Roche, à l’inauguration de l’exposition Curiosités du monde naturelle.
Se retrouver devant un crabe araignée géant du Japon impressionne, mais il ne faut pas oublier que cet être vivant a été soustrait des siens, soutiré des profondeurs marines puis naturalisé pour la postérité humaine. Ainsi, il ne suffit pas que d’exposer des objets organiques pour sensibiliser les visiteurs à l’environnement puisque ces scientifiques ont ouvert la voie au pillage des ressources et à l’extinction des espèces. La photographie en noir et blanc de Lord Lionel Walter Rothschild (1868-1937) à dos de tortue géante témoigne de l’absurdité des nantis.
Les deux expositions provoquent l’idée primitive que face aux dangers de la nature, l’humain se défend. Au temps du réchauffement climatique, ce raisonnement est-il encore viable? Tel le miroir de la belle-mère dans le conte de Blanche-Neige, l’anachronisme serait-il le poison et l’antidote au maintien de la biodiversité?
De Venenum, un monde empoisonné à Curiosités du monde naturel, la manne de touristes qui déferle dans la capitale pendant l’été aura le loisir d’y répondre.
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