Vouloir aimer La femme de mon frère, premier long-métrage de Monia Chokri, est un désir que l’on ne conteste même pas. Dommage alors que malgré tout notre bon vouloir, il est de loin plutôt impossible d’y trouver entièrement notre compte dans cette farandole d’idées et d’éléments prometteurs qui ne s’amalgament jamais comme ils le devraient.
Celle qu’on a découverte grâce à Xavier Dolan et qui a su nous charmer à de nombreuses reprises depuis, dont récemment dans le trop peu vu Avant qu’on explose, allait certainement en venir à vouloir pleinement voler de ses propres ailes. Surtout considérant le succès et l’attention qui ont suivi son court-métrage Quelqu’un d’extraordinaire.
Ne s’éloignant pas trop de ses thématiques et ses névroses, elle reprend ses préoccupations, son rythme, ses dialogues (dont plusieurs répliques fondent en bouche) et ses situations, divaguant constamment entre le drame et la comédie, avec une esthétique qui lui est entièrement propre. Proche amie de Dolan, son style s’apparente régulièrement à celui du réalisateur, les couleurs et le kitsch étant mis de l’avant, tout comme un raz-de-marée de références, notamment à la Nouvelle Vague.
Le petit hic toutefois, pour en finir avec le jeu des comparaisons, est que si elle a su cajoler cet objet et le soigner de manière maladive sous presque tous ses aspects, le bât blesse davantage au niveau du contenu.
Si Dolan s’emporte trop souvent par sa technique, poseuse et par moment prétentieuse, cela ne l’empêche pas d’avoir quelque chose à dire et à raconter, ce qui ne semble pas entièrement le cas de son amie. Du haut d’un film de près de deux heures, Monia Chokri étire jusqu’à l’improbable sa base de court-métrage pour en tirer un film qui n’en finit plus de tourner en rond, rappelant au passage l’effet Les scènes fortuites de Guillaume Lambert qui, au moins, vibrait à l’unisson avec son magnifique titre.
À l’instar de ses personnages simili-philosophes, la réalisatrice semble constamment tenter de trouver de nouvelles manières de remplir le vide de son scénario. Certes, la production a sa beauté qui lui est propre et trouve l’inusité dans énormément de recoins.
La tentation de la facilité
Il y a aussi cette judicieuse trame sonore qui s’amuse à piger un peu partout, pour en ressortir avec son propre folklore bien varié. La variété étant d’ailleurs un des mots d’ordre du projet. Face à un personnage issu d’une mère québécoise et d’un père maghrébin (on a des échos de la Trogi-logie ici), on s’amuse ad nauseam à vouloir taquiner toutes les cultures, de manière plutôt plaquée avouons-le, jusqu’à une scène charnière, tout autant incorporée avec maladresse, où l’on semble s’obliger à livrer un mea culpa, un peu comme Denys Arcand l’a fait régulièrement. Gros plan braqué et citations pleines d’actualité sur les minorités en cadeau.
De la même manière, en juxtaposant le mondain au vrai monde, tout comme l’élite aux laissés-pour-compte, le film ratisse large et on imagine grandement les appels de casting qui ont pu s’en suivre, des juifs hassidiques aux jeunes danseurs afro-américains urbains, en passant par le petit gars asiatique du dépanneur chinois. L’appel de l’identité gravite dans cette œuvre qui, malgré ses désirs d’être universelle et un brin européenne, demeure néanmoins inévitablement très québécoise.
Avoir sa place dans le monde et la société, l’acceptation, l’accomplissement personnel et professionnel et, puisque c’est l’histoire d’une femme, l’amour. Le film a beau être résolument moderne, son regard sur les femmes est souvent problématique. Sa protagoniste n’a peut-être pas la langue dans sa poche, mais elle n’en demeure pas moins névrosée et aux réactions et comportements discutables.
Comme quoi, si l’on adore Anne-Élisabeth Bossé plus que tout au monde et qu’elle a tout le talent nécessaire pour porter sur ses épaules un long-métrage, elle semble malgré tout nous amener une variante sur ce qui serait ici un invraisemblable Les Simone, le film, ressassant plus ou moins des réflexions et situations similaires. Réalité désolante que de voir une distribution merveilleuse se compromettre pour du matériel souvent en deçà de son indéniable talent, tout en élevant malgré tout régulièrement le niveau de l’ensemble.
De fait, si l’on oubliera un cameo foncièrement inutile tout comme le moment purement hitchcockien de la réalisatrice, on se désolera davantage de ne pas retrouver les trop rares Marie Brassard et Micheline Bernard dans de meilleures circonstances. Certes, il fallait s’attendre à retrouver Magalie Lépine-Blondeau, mais bien qu’on la voit plus à l’écran, elle n’a pas vraiment mieux à se mettre sous la dent que Mylène Mackay. Par ailleurs, il fait du bien de voir Joëlle Paré-Beaulieu au grand écran, cette talentueuse comédienne malheureusement encore trop peu connue.
Reste alors une Évelyne Brochu délicate, tout en retenue, se jouant de naturel autant dans sa prestation que dans son physique. On craquera aussi pour la délicate naïveté de Mani Soleymanlou qu’on a trop souvent le réflexe de noyer dans des personnages secondaires soit trop gros soit trop oubliables, ce que Chokri s’assure de ne pas lui offrir.
Sauf qu’on retient d’abord et surtout ce Patrick Hivon. Qu’importe qu’il s’appelle un peu ridiculement Karim, cette boule de talent brut et imprévisible qui épate dans chacun de ses rôles, trouvant la vulnérabilité dans l’aisance et composant à nouveau un rôle qu’on ne l’avait jamais vu incarner jusqu’à présent. Un acteur qui se réinvente? Oui, constamment et merveilleusement même. Il est le frère du titre, mais la force du film également et disons que lorsque son personnage se retire, ce qui arrive beaucoup trop souvent, le film souffre, tout comme sa protagoniste qui s’en ennuie.
La femme de mon frère est donc anecdotique au possible. Un film qui veut trouver un sens en la vie, mais donne des réponses préconçues un peu trop régulièrement, en ne s’en tenant qu’à l’amour sincère et à la famille comme moteurs principaux. Un film qui aimerait s’armer d’une profondeur intemporelle, mais qui se nuit à lui-même en se complaisant dans le familier, en s’auto-détruisant à l’aide d’effets de style qui lassent aussitôt qu’ils sont utilisés, avec un montage agressant et insistant en prime.
On aurait aimé aimer cette proposition généreuse et bien intentionnée, mais voilà qu’on se retrouve surtout à l’endurer, ce qui est beaucoup trop dommage face à tout le talent réuni.
5/10
La femme de mon frère prend l’affiche en salles ce vendredi 7 juin.
2 commentaires
Pingback: The Dead Don’t Die: s’envahir d’inutile - pieuvre.ca
Pingback: The Dead Don’t Die: s’envahir d’inutile – Enjeux énergies et environnement