Un projet recule, l’autre avance. La guerre au développement des pipelines transportant des produits pétroliers a stimulé l’émergence, particulièrement au Québec, de multiples mouvements citoyens locaux. Une partie de la solution serait-elle à l’échelon municipal?
Le Pr David Robitaille le croit: « Nous avons souvent l’impression que les municipalités sont impuissantes car le droit constitutionnel les désavantage. C’est l’arbre qui cache la forêt », relève le professeur titulaire de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et co-organisateur du colloque de l’Acfas consacré au transport intensif de pétrole et au milieu municipal.
La Constitution donne effectivement au gouvernement fédéral le pouvoir d’approuver ou de refuser la construction d’oléoducs et les municipalités ne peuvent pas refuser juridiquement ces projets.
Cependant, leurs prérogatives de municipalités pourraient obliger les compagnies pétrolières à prendre en compte les craintes pour la sécurité des citoyens et le souci de préserver l’environnement. « Les municipalités ne peuvent pas dire non au passage du pétrole ni limiter la quantité de bitume, mais à travers l’émission de permis municipaux, elles ont un certain pouvoir. Les pipelines ne sont pas soustraits aux règlements municipaux », précise le chercheur.
Afin d’assurer la sécurité des citoyens et la protection de l’environnement, les municipalités doivent réclamer aux compagnies qu’elles soumettent des plans d’interventions d’urgence et peuvent leur demander de former les premiers répondants.
Ce droit constitutionnel qui dépouille les municipalités du droit de refus, comme au temps de la construction du chemin de fer, apparaît un peu dépassé face aux enjeux du droit à un environnement sain ou de l’acceptabilité sociale. C’est pourquoi le Pr Robitaille pense qu’à l’avenir, les municipalités pourraient devenir plus puissantes, particulièrement sur le terrain politique avec l’adoption, par exemple, de chartes pour le climat et pour la préservation de la biodiversité.
Lorsqu’elles se regroupent, comme au sein de la communauté métropolitaine de Montréal avec les appuis des nations autochtones et de la société civile, elles sont capables de faire reculer un projet comme Énergie Est. À Gatineau, le conseil municipal avait adopté à la grande majorité — 17 voix contre deux — une résolution d’opposition à ce pipeline.
Lorsque les citoyens passent à l’action
Ce succès résultait aussi de la mobilisation citoyenne de Stop Oléoduc Outaouais (SOO, branche locale de Stop Oléoduc), créé en 2016. Ce groupe citoyen a multiplié les démarches auprès de plusieurs conseils municipaux de l’Outaouais, Gatineau en tête, en déposant un mémoire expliquant son opposition.
« Nous avons déposé ce mémoire à l’issue d’une marche d’une semaine, ce qui a attiré les médias et l’attention de nos élus. Cette victoire a démontré que les citoyens pouvaient faire levier sur leur municipalité », explique Réal Lalande d’Action Climat Outaouais — le nouveau nom du SOO.
Depuis, plus de 250 municipalités québécoises, incluant Gatineau, ont adhéré à une autre initiative citoyenne, la Déclaration d’urgence climatique. En intégrant l’action au climat, le groupe de l’Outaouais a aussi démarché Ouranos afin de faire venir au conseil municipal des experts capables d’expliquer les enjeux climatiques aux élus. Après les tornades de 2018 et les récentes inondations, la motivation est plus grande encore. « Beaucoup de responsabilités reposent sur les épaules des municipalités, comme d’interdire la construction en zones inondables », rappelle Réal Lalande.
L’attendu projet de loi C-69
Le gouvernement fédéral promet de changer la donne avec son projet de loi C-69 destiné à restaurer la confiance du public dans les processus d’évaluation fédéraux, en modifiant la loi sur l’évaluation d’impact et en instaurant une nouvelle Régie de l’énergie — qui remplacera l’Office national de l’énergie (ONÉ).
Un projet de loi qui connaît une forte opposition de l’industrie et ne parvient pas à rallier les forces progressistes. « Il est difficile de rallier les gens autour d’une loi complexe. Il y a la crainte que moins de projets soient évalués mais la loi actuelle ne convient plus et il importe de réformer l’Office de l’énergie », explique l’avocate en droit de l’environnement, Me Karine Peloffy.
De plus, des citoyens des provinces de l’ouest du pays favorables à l’industrie, à travers le mouvement Suits and Boots, ont repris des tactiques des mouvements écologistes: manifestations devant le parlement et campagnes de courriels destinées aux sénateurs avec le message #KillBillC69.
Malgré certaines victoires face aux projets Énergie Est, Northern Gateway ou Trans Mountain, l’avocate sent que le balancier ne penche plus de son côté. « Il est plus facile de s’unir contre que pour un projet de loi, c’est pourquoi il importe de parvenir à canaliser l’énergie autour de C-69 », relève Me Peloffy. Et cela, avant que ce projet disparaisse dans la tourmente des élections fédérales de l’automne.
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