Pour clore sa saison, le Théâtre du Nouveau Monde nous offre le dernier texte du prolifique dramaturge Michel Marc Bouchard. Récit contemporain soigneusement mis en scène par son fidèle complice, Serge Denoncourt, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé est un fort beau cadeau!
Au cœur de l’intrigue: Mireille Larouche (magnifique Julie Le Breton), thanatologue de réputation internationale, est de retour dans son Lac-Saint-Jean natal pour embaumer la dépouille de sa mère qui a succombé à un cancer. Après un long exil de 11 ans, l’artiste du mortuaire est venue accomplir ce qu’elle fait de mieux: rendre hommage aux morts, créer de la beauté et de l’apaisement. Seulement, il lui faudra pour cela renouer avec les vivants, ceux qu’elle a laissés derrière: ses trois frères, sa belle-sœur… et Laurier Gaudreault, tous au cœur d’une sombre histoire de viol qui refera surface et bouleversera le clan.
Il lui faudra non seulement réparer les morts, mais aussi réparer une grave injustice commise dans son enfance. Petite, Mireille fuyait l’insomnie en entrant dans les maisons du voisinage pour épier les dormeurs, car la nuit, les corps se révèlent sous un autre jour, dépouillés de toute forme de conscience. Elle épie la bouche de madame Plourde ou la prothèse de monsieur Rolland, ou les lecteurs, les baiseurs, les ronfleurs. Ses habitudes nocturnes la mènent dans la chambre du jeune adolescent dont elle est éprise, Laurier Gaudreault. Or, cette nuit-là, il s’est réveillé. Cette nuit-là, la vie de tout le monde a chaviré. Cette nuit-là, l’histoire ne s’est pas arrêtée là.
Autre point de bascule: dans son testament, la mère a tout légué à Laurier Gaudreault. Pour les Larouche, le choc est immense. L’équilibre déjà fragile de la fratrie en dérive est rompu. Autour du corps de la défunte, peu de silences. On parle beaucoup pour remplir le vide, cacher sa peine, recoller ses brisures, « ses craques ». On règle ses comptes, on s’affronte. Dévoilées petit à petit avec un parfait dosage, les vérités finissent par éclater. Secrets, trahisons et mensonges ont causé des dommages collatéraux dévastateurs.
Portée par une cohorte de comédiens quatre étoiles, la partition textuelle de Bouchard est forte, intelligente, rythmée et truffée de perles et de répliques tantôt dramatiques, tantôt hilarantes. Essentielles comme des bouffées d’air frais, les pointes d’humour et de dérision apaisent le contexte du deuil. À ce titre, les personnages de Mathieu Richard, en petit frère délinquant (Éliot) et de Magalie Lépine-Blondeau, en belle-sœur nunuche et trop positive (Chantal) sont savoureux, authentiques et spontanés, et permettent ces échappées comiques. Ces touches de lumière (très efficaces) laissent entrevoir l’ampleur de l’obscurité. Quant aux deux autres frères, parfaitement incarnés par Patrick Hivon (Julien) et Éric Bruneau (Denis), leur registre est beaucoup plus grave, mais tout aussi percutant. À leur manière, ils existent tous pleinement. En jeune thanatopractrice, Kim Despatis fait le pont entre le lieu physique et le lieu abstrait de ce microcosme familial.
Toute vêtue de gris ou de noir, la distribution évolue dans un décor pur et esthétique. Bien que froide et mortuaire, la salle d’embaumement demeure apaisante. L’omniprésence de la morte au centre du plateau ne fait aucunement macabre. Sa « mise en beauté » est douce et exécutée dans le respect de rituels anciens. Des éclairages efficacement dosés insufflent une sérénité au deuil. Même les souffles lugubres qui parsèment la pièce sont lyriques, tels les vers du poème d’Octave Crémazie récités par Mireille.
Pendant que des montagnes de fleurs n’effacent pas les odeurs de cancer, que les vivants parlent trop fort, que les douleurs qui émergent des affrontements sont trop vives, que la famille est déshonorée et les amis éclaboussés, pendant qu’on regarde au loin pour voir ce qu’on veut bien voir, pendant qu’on devient zombie ou qu’on meurt de honte les mains plaquées sur le visage, Mireille n’a qu’un seul espoir : trouver la Rédemption, la sienne et celle de ses proches. Pour y arriver, elle devra réparer. Réparer pour ne plus se mentir, pour se consoler, s’abandonner, s’assoupir, se perdre dans de jolis rêves et enfin respirer paisiblement comme tous les dormeurs de la nuit.
Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 8 juin. Supplémentaires les 9 et 11 juin.