«Il n’y a pas de recherches sérieuses sur l’activité criminelle de la Silicon Valley, c’est une attaque des États-Unis et de la Chine et nous n’y répondons pas», a affirmé le philosophe allemand Markus Gabriel au quotidien El País le 1er mai. Son essai Pourquoi le monde n’existe pas parut à Berlin en 2013 vulgarise une nouvelle philosophie: le nouveau réalisme.
Avec le documentaire Lo and Behold: Reveries of the Connected World (2016), le cinéaste Werner Herzog nous amène à douter de la promotion fantaisiste des nouvelles technologies par de multiples entretiens avec les génies en cause, alors que dans la pièce de théâtre Post Humains (2019), l’actrice dramaturge Dominique Leclerc analyse les approches technologiques allemande et américaine. Dans la même veine critique, Markus Gabriel emploie la philosophie afin de contrer la finalité de l’intelligence artificielle qui n’existe pas selon lui.
«Ce qu’il y a, c’est un logiciel de codes écrits par des humains pour exploiter d’autres humains. Nous travaillons tous pour Facebook ou pour Google. Quand vous utilisez un moteur de recherche, vous générez une trace, vous produisez quelque chose et c’est ça le travail. Ensuite, les algorithmes, produits par des humains, sont utilisés pour anticiper votre comportement et celui des autres, afin de gagner de l’argent avec votre travail. C’est ce que j’appelle le prolétariat numérique», explique-t-il à El País.
Pour valider ce raisonnement, il ne suffit que d’évoquer l’emprise des géants comme Netflix, Airbnb et Uber sur l’économie ou les effets de radicalisation qui affectent les utilisateurs des réseaux sociaux Facebook et Instagram. Par contre, tourner le dos à internet et aux nouvelles technologies semble plus compliquer. L’essai Pourquoi le monde n’existe pas propose une réflexion sur l’ensemble des courants philosophiques soutenue d’exemples tirés de la culture populaire : films, séries et simples observations.
À la différence de la métaphysique et du constructivisme, le nouveau réalisme considère que l’existence se compose de domaines d’objets, de champs de sens et des façons dont ces objets se manifestent à nous. À partir de cette genèse, une longue décantation s’ensuit à travers laquelle le philosophe refuse l’opposition entre la science et la religion, mais compare la méthode scientifique au sens de l’art afin de démontrer que leur valeur est distincte.
Image du monde
Il n’y a pas que des différences culturelles marquées entre l’est et l’ouest de l’Allemagne, mais chaque Land et chaque ville ont leur propre saveur. Ajoutons à cela que notre société se divise aussi en sous-groupes de cultures, en classes d’âges et en groupes sociaux. La société est toujours également une diversité colorée de perspectives sur la société, elle n’est pas une entité dans laquelle il faudrait intégrer les prétendus étrangers, écrit-il sur l’idée d’intégration.
Ce qui semble net pour l’Allemagne devient plus flou lorsqu’il s’agit du Canada. D’ici les élections fédérales prévues pour le 21 octobre, les partis politiques persuaderont les électeurs de l’existence de l’unité canadienne remise en question par les documentaires Les États-Désunis du Canada (2012) de Guylaine Maroist et Michel Barbeau et Design Canada (2018) de Greg Durell. Une autre forme de décalage de la représentation est aussi orchestrée par les États-Unis. Pour le philosophe, la puissance mondiale affirme sa domination en contrôlant l’image du monde par sa prédominance médiatique et sa maîtrise de la télévision.
Au fil du chapitre sur le sens de la religion, Markus Gabriel aborde le «désenchantement du monde» du sociologue Max Weber et le fétichisme démontrant que les comportements des contemporains sont conditionnés par une morale trompeuse. Cynisme, complaisance et la panoplie de raisonnements équivoques peuvent être surmontés en se questionnant soi-même, c’est-à-dire en participant à l’histoire de l’esprit, incluant la science moderne.
Il est sans doute important de remettre les pendules à l’heure concernant notre situation ontologique, parce que l’homme se transforme aussi toujours en liaison avec ce qu’il considère être la structure fondamentale de la réalité, conclut le philosophe.
Les Lumières du 21e siècle ne seront peut-être pas celles de nos écrans.
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