Pour clore sa saison théâtrale, le TNM présente La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, une œuvre originale de Michel Marc Bouchard, mise en scène par Serge Denoncourt avec de beaux décors et six excellents acteurs. Le contraste des mentalités entre Québec traditionnel et Québec moderne, ainsi que les secrets de famille sont au cœur de l’histoire; une histoire un peu tirée par les cheveux pour le moins.
L’action se déroule à Alma, près du Lac Saint-Jean, dans le Québec du Nord que Mireille a quitté pour mener une brillante carrière internationale. Son métier: thanatologue. Elle embaume les corps des grands de ce monde, et tous les personnages importants du moment s’arrachent ses services post-mortem, des rock stars aux vedettes de cinéma, en passant par le pape et autres célébrités. Les personnalités du grand monde souhaiteraient, grâce à ses mains expertes et artistiques, conserver un aspect vivant après leur mort…
Sa vocation, Mireille la doit à ses insomnies d’enfant (on ne sait pas trop à quoi elles étaient dues), qu’elle occupait en s’insinuant furtivement dans les maisons voisines de la sienne, la nuit, pour les observer dormir. Cette activité pour le moins étrange, elle l’a pratiquée de ses 7 ans à ses 12 ans, jusqu’au moment, précisément où « Laurier Gaudreault s’est réveillé ». Des années plus tard, la voici qui revient dans son village natal pour embaumer le corps de sa mère qui vient de décéder à l’hôpital, dans une attitude corporelle qui prouve qu’un secret lui a été révélé juste avant de mourir.
Mireille est l’aînée de la famille. Le second est Julien, puis viennent Denis et Éliot. Eux n’ont pas quitté Alma. La pièce raconte les retrouvailles de la fratrie à laquelle s’ajoute Chantal, la conjointe de Julien. Leur mère est également présente – ou, du moins, son corps prêt à être embaumé. Et il y a enfin Mégane, une jeune thanatologue dans le laboratoire de laquelle toute l’action se déroule.
Les personnages sont bien campés et on les découvre progressivement. Éliot, très bien interprété par Mathieu Richard, rencontre des difficultés dans sa vie, alcool, drogues, manque d’argent chronique, et il fréquente une association Le Tremplin, qui tente de le mettre sur les rails de la vie. Son frère Julien (très bon Patrick Hivon) a fréquenté avant lui Le même Tremplin, et ça lui a réussi, semble-t-il. Avec Chantal (excellente Magalie Lépine-Blondeau), ils forment un couple uni, avec sans doute ses difficultés ordinaires. On rencontre enfin Denis (Éric Bruneau) et la jeune thanatologue (Kim Despatis), avec Mireille au centre (très bonne Julie Le Breton).
Le texte est bien écrit, souvent drôle, paradoxalement, malgré ce corps inerte et nu de vieille dame morte, témoin d’un secret qu’elle a appris juste avant de partir. Mais le tout laisse un sentiment d’inachevé, en raison de plusieurs incohérences, et en dépit de la volonté de faire de cette histoire un problème bien réel.
Sans doute l’état de sommeil a-t-il quelques ressemblances avec celui d’un corps au moment de mourir. Ce serait là l’origine de la vocation de Mireille. Une petite fille qu’on laisse partir la nuit pour aller observer les dormeurs, pourquoi pas? Mais à condition que le récit prenne une voie presque surnaturelle. Or, cet aspect pseudo biographique de l’héroïne est mis au service d’une carrière d’artiste invraisemblable, à la suite d’un secret un peu faible et qui ne semble pas être le seul problème à l’origine du mal-être de chacun des membres de la famille.
La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, du 14 mai au 8 juin 2019 au Théâtre du Nouveau Monde.
Une oeuvre originale de Michel Marc Bouchard
Mise en scène: Serge Denoncourt
Avec: Éric Bruneau, Kim Despatis, Patrick Hivon, Julie Le Breton, Magalie Lépine-Blondeau et Mathieu Richard