Ah, le travail! C’est la santé, disent les uns. C’est un mal nécessaire pour mettre du beurre sur les épinards, diront les autres. Dans Bienvenue à l’usine, sorte de mise en abîme sur le capitalisme et le travail répétitif et déshumanisant, le dessinateur Bertine propose un portrait en demi-teinte de ces créatures de l’ère industrielle.
Invité à travailler dans une importante usine métallurgique pendant 15 jours, histoire d’en tirer une exposition formée de divers portraits et croquis, le personnage principale, qui est sans doute Bertine, Bastien de son prénom, rencontrera quantité de travailleurs, tous avec leurs tics, leurs raisons d’avoir accepté des tâches parfois éreintantes et ingrates, leurs motivations, leurs rêves – ou l’absence de ces derniers.
En ce sens, l’usine représente à la fois l’aboutissement et l’échec du concept de « travail ». Il s’agit habituellement de tâches physiques ou nécessitant une grande précision, ce qui glorifie le côté technique de la civilisation humaine, le tout dans un environnement mécanisé, aseptisé, dépourvu de toute verdure ou d’animaux. L’homme y exploite la nature, mais il s’agit des ressources brutes, souvent arrachées du sol, plutôt que recueillies délicatement, par exemple. L’endroit pourrait se situer sur la Lune ou dans une autre galaxie, et il n’y aurait probablement pas de changement. Autant pour la fameuse « charte environnementale » que vante la femme qui accueille notre dessinateur, à son arrivée sur les lieux.
Dans cette aventure relativement courte, le dessinateur utilise de façon magistrale les couleurs, les ombres, les contrastes pour créer une atmosphère parfois légère, parfois particulièrement oppressante, comme dans la salle de fonderie, où tout est soit teinté de la vive lueur du métal en fusion, soit plongé dans un noir sinistre qui semble gangrener les combinaisons de protection et les visages des travailleurs.
De fait, ce sont véritablement ces maelstroms de couleurs qui font le succès de Bienvenue à l’usine. Les dialogues sont en nombre relativement petit, et comme l’artiste ne semble effectivement avoir passé que 15 jours à travailler dans l’usine en question, on ne peut pas nécessairement s’attendre à de grands échanges ou la création de liens d’amitié inébranlables. Qu’à cela ne tienne, l’oeuvre est justement poignante de par sa capacité à dire beaucoup de choses sans noyer les cases de phylactères.
Bienvenue à l’usine, de Bertine. Paru aux éditions du Vide Cocagne, 114 pages.
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