Le roman graphique L’homme à la fourrure propose une biographie fort éclairante sur Leopold von Sacher-Masoch, un auteur prolifique dont l’œuvre sera complètement éclipsée lorsqu’il donnera, bien malgré lui, son nom à la pratique du masochisme.
Historien, journaliste et écrivain, Leopold von Sacher-Masoch a signé une bonne trentaine de romans et pièces de théâtre entre 1858 et 1907, mais c’est La Vénus à la fourrure qui le fera connaître, tout en éclipsant paradoxalement le reste de son œuvre. Relatant l’histoire de Séverin, un homme ne trouvant le plaisir que dans la punition et la soumission qui devient l’esclave consentant d’une certaine Wanda, une dominatrice raffolant de fourrures, de bottes de cuir et de fouets, ce livre est l‘ancêtre un peu moins osé de Fifty Shades of Grey, mais les mœurs étaient bien différentes dans l’Europe puritaine de la fin du 19e siècle, et lorsque son nom sera associé à la pratique du masochisme par le docteur Krafft-Ebing dans Psychopatia Sexualis, un ouvrage recensant les pathologies sexuelles, l’héritage littéraire de Sacher-Masoch sombrera dans l’oubli pendant de longues années.
Catherine Sauvat n’en est pas à sa première biographie, et même les gens ayant peu ou pas d’intérêt pour Leopold von Sacher-Masoch (ou le masochisme) dévoreront L’homme à la fourrure. Utilisant des extraits de son célèbre roman afin de jeter un éclairage particulier sur des moments clés de la vie de l’écrivain autrichien, l’album revient sur l’incident de jeunesse avec sa tante qui lui inculquera le goût des femmes sévères et des châtiments corporels, sa rencontre avec Aurore Rümelin, une admiratrice qui deviendra sa vraie « Wanda » et lui fera subir un traitement abject, même après l’avoir quitté, la mort tragique de son fils Alexandre, ou la stigmatisation dont il sera victime après être entré dans le « grand catalogue des pervers ». Difficile de ne pas voir l’ironie derrière le portait de cet homme qui rêvait de « divines punitions », et qui sera exaucé au delà de toutes espérances, en étant littéralement flagellé par le destin.
Dans un style graphique épuré et stylisé qui n’est pas sans rappeler le travail de Nine Antico, Anne Simon laisse flotter ses illustrations librement sur la page, sans aucune case, ce qui crée des compositions graphiques organiques et visuellement intéressantes. Bien qu’elle dessine parfois des paysages urbains animés ou des salles de théâtre bondées, elle se concentre la plupart du temps sur les personnages de l’intrigue, effleurant à peine les environnements en esquissant un pan de mur et une porte, ou une table de chevet et un lit, en arrière-plan. L’homme à la fourrure est imprimé à l’encre noire sur papier blanc, à l’exception du monde du fantasme, coloré de rouge comme pour évoquer le côté sanguin et la sensualité de ces visions oniriques. L’album se conclut par une biographie exhaustive de deux pages de Leopold von Sacher-Masoch, de sa naissance en 1836 à sa mort en 1895.
Sorte de fable à la morale peu conventionnelle, L’homme à la fourrure est à la fois une biographie, et une tentative de réhabiliter l’œuvre de Leopold von Sacher-Masoch. Nul besoin d’être masochiste pour apprécier cette bande dessinée, qui s’avère beaucoup plus ironique qu’érotique.
L’homme à la fourrure, de Catherine Sauvat et Anne Simon. Publié aux Éditions Dargaud, 128 pages.
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