Bien connu des lecteurs de Spirou et Fantasio, le Comte de Champignac a maintenant droit à sa propre série, et pour Enigma, sa toute première aventure solo, il nous invite à une balade dans l’Histoire en compagnie de nul autre qu’Alan Turing, le père de l’informatique.
Juin 1940. Lorsque son château est réquisitionné par les forces d’occupation allemandes, Pacôme Hégésippe Adélard Ladislas (mieux connu sous le nom du Comte de Champignac) s’enfuit et rejoint l’Angleterre à l’invitation de son ami, le professeur Black. Après avoir traversé la Manche, il est recruté par les services secrets britanniques, qui tentent de percer les mystères d’Enigma, un appareil codant les communications entre les différents corps de l’armée nazie et dont la clé change à toutes les 24 heures. Logé au manoir de Bletchley Park en compagnie des plus brillants esprits du pays, Pacôme travaillera de concert avec Alan Turing, un mathématicien et cryptanalyste au comportement excentrique, afin de mettre sur pied une machine capable d’analyser chaque jour les 158,9 milliards de milliards de combinaisons possibles pour trouver la bonne, ce qui pourrait bien s’avérer déterminant pour l’issue de la guerre.
Champignac: Enigma est une bande dessinée agréablement cultivée qui, en plus de donner un cours accéléré de cryptographie, vulgarise encore mieux que le film The Imitation Game (qui traitait du même sujet) les rouages complexes et le fonctionnement de la fameuse machine allemande. Tout en prenant quelques libertés avec les faits pour insérer le personnage fictif du Comte de Champignac, l’intrigue multiplie les références historiques, et non seulement Pacôme croisera Churchill nu dans sa baignoire, il inspirera aussi Ian Fleming à écrire des romans d’espionnage. Dans une case, Alan Turing dépose sur la table une pomme dans laquelle il a croqué une bouchée, et l’ombre esquisse clairement le logo d’Apple, un clin d’œil subtil, mais lourd de sens quand on connaît l’histoire tragique de l’homme, dont le suicide avec une pomme empoisonnée serait l’inspiration derrière l’image de la firme de Cupertino.
David Etien trouve un bel équilibre graphique dans Champignac: Enigma entre des dessins sympathiques rappelant le travail de Franquin et une facture plus réaliste, ce qui se traduit par des personnages pétillants aux formes arrondies et aux traits légèrement exagérés, mais quand même très ressemblants, qu’il s’agisse de Turing ou de Churchill, et sa version « rajeunie » de Pacôme est très fidèle au septuagénaire des albums de Spirou et Fantasio. L’artiste dynamise cette intrigue, parfois cérébrale, par des scènes d’attaques de sous-marins U-boote, de convois maritimes en flammes, ou de bombardements aériens au-dessus de Londres, et utilisant une coloration et une esthétique marquée par celle des années 1940, il recrée, avec un souci du détail remarquable, les décors et paysages d’époque. Etien s’offre également un petit clin d’œil à la toute fin de l’album, avec, vu de dos, la silhouette d’un jeune groom du Moustic Hôtel en livrée rouge…
Humour et clins d’œil à l’Histoire contribuent à faire de Champignac: Enigma une bande dessinée cultivée, qui ne s’adresse pas uniquement aux personnes familières avec Spirou et Fantasio, mais bien à tous ceux et celles qui souhaitent en apprendre davantage sur Alan Turing, un homme qui, en plus d’avoir permis aux Alliés de vaincre les nazis, a également contribué à la naissance de l’ordinateur.
Champignac T.1: Enigma, de David Etien et BeKa. Publié aux Éditions Dupuis, 64 pages
Club de lecture – Seconds: la deuxième chance sera la bonne. Peut-être…
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