Ivan Cavallari, le nouveau directeur artistique des Grands Ballets, a pu donner libre cours à son irréductible prédilection pour le ballet romantique en s’attaquant à non pas un, mais deux monuments du répertoire classique au cours de cette remarquable saison 2018-2019.
Car si c’est la fragile Giselle qui est sur toutes les tribunes du printemps, rappelons que c’était, cet hiver, le fougueux Lac des cygnes qui avait conquis les montréalais amateurs du sixième art.
Ici s’arrêtent toutefois les comparaisons, car les deux productions n’ont en commun que l’immensité de l’héritage qu’elles laissent derrière elles.
Un ballet en deux temps
Cet archétype du ballet romantique, repris dans sa plus élémentaire expression grâce à l’expertise de Marina Villanuava, met en scène deux actes où le fantastique s’oppose au réel et où l’amour absolu perdure jusque dans la folie et la mort.
Giselle a le cœur brisé lorsqu’elle découvre qu’Albrecht, l’homme qu’elle aime, est en réalité un noble fiancé à une autre femme. Dévastée par le chagrin face à la duplicité et consumée par son ardent désir, la jeune paysanne succombe à la folie. Elle rejoint les esprits fantomatiques des wilis condamnant les hommes fourbes à danser jusqu’à la mort.
Le second acte, plus onirique que le précédent, réservait aux spectateurs le moment fort de ce ballet blanc alors que le 12e mouvement s’esquisse et que la troupe de wilis, ces fiancées défuntes de chagrin d’amour, se laissent porter par leur reine sur fond de clair de lune sylvestre. Absolument magnifiques, elles semblent planer dans un nuage de tutus et de parures d’un blanc immaculé. Cette troupe incarne la quintessence même du ballet classique dans une grâce et une splendeur divine. Quelle réussite!
Autrement, tant le premier que le second acte souffrent de quelques longueurs chorégraphiques dans cette clairière ponctuée de coquelicots.
Ces précieux instants – le ballet entier ne dure que deux heures, comprenant un entracte de 20 minutes – auraient pu être utilisés à meilleur escient plutôt que de confiner l’incroyable talent de l’ensemble à de l’ennuyeux batifolage dans les bosquets. Dommage.
Adolphe Adam, un génie lyrique
La trame sonore emblématique de Giselle, menée ici par Jean-Claude Picard et les 70 musiciens de l’Orchestre des Grands Ballets, a d’abord été imaginée par le prolifique Adolphe Adam, qui signait alors son plus grand chef d’œuvre. Auteur d’entre autres 46 opéras et 14 ballets, il a également composé le cantique de Noël Minuit, chrétiens, ainsi que la Marche funèbre qui accompagna le retour des cendres de l’empereur Napoléon Ier sur Paris.
« Giselle est un bijou, poétique, musical et chorégraphique », disait l’illustre Piotr Ilitch Tchaïkovski, qui avouait avoir relu plus souvent qu’à son tour la partition d’Adolphe Adam avant de créer un nouveau ballet.
Tous s’entendent pour souligner le don symphonique du compositeur qui introduit pour la toute première fois sur scène le principe du leitmotiv, établissant une causalité distinctive entre l’ambiance scénique et les partitions; grâce à Adam, la musicalité n’était désormais plus reléguée au simple rôle de faire-valoir et faisait partie intégrante de la production.
Le sans-faute de Yui Sugawara
Incarnant avec acuité une Giselle qui n’aura jamais été aussi furieusement vivante que dans la mort, la soliste japonaise Yui Sugawara fait preuve de grande virtuosité en enchaînant les pas complexes d’équilibre précaire et les sauts étonnamment puissants pour son gabarit menu.
D’une légèreté presque vaporeuse, elle démontre une sensibilité aiguë, notamment à la finale du funeste premier acte.
Bien entendu, le personnage aurait pu se délester d’un iota de naïveté afin de mieux saillir aux mœurs contemporaines, la nymphette inoffensive et docile n’étant aujourd’hui pas plus au goût du jour qu’elle ne le fut en 1841; on excusera cet impair par souci du détail historique.
Mention spéciale, également, aux solistes masculins Célestin Boutin et Alessio Scognamiglio ayant exécuté avec aplomb les vigoureuses vrilles imaginées pour l’occasion par Ivan Cavallari.
Car le chorégraphe, qui a incarné tour à tour les rôles d’Hilarion et d’Albrecht au cours de sa carrière, souhaitait mettre davantage de l’avant la force brute des interprètes masculins dont les prouesses sur le plan technique, dans l’histoire du ballet romantique, ont trop souvent été mises de côté dans le but unique de faire briller la ballerine étoile.
Une scénographie épatante
Si certains ont reproché à cette reddition de nonchalamment se calquer à celle de 1841 sans égard au contexte contemporain, c’est plutôt une signature visuelle audacieuse sur le plan de la scénographie qui a ébloui l’auditoire.
Seuls quelques futaies jonchent la scène autrement dépouillée, mais élégamment ceinturée par un diaphane rideau de longilignes fils blancs animé par diverses projections reflétant à la fois le lieu et l’état moral de la protagoniste à la disposition fragile. La scène s’en trouve pour ainsi dire décloisonnée, ce qui favorise une fluidité d’entrée et de sortie des danseurs.
Un choix sobre – bien que l’on soit encore loin des apparats minimalistes du théâtre contemporain – à l’opposé des décors trop souvent ostentatoires qui déroutent le regard de la performance des danseurs. Chapeau ici à Ivan Cavallari, dont les habiletés artistiques tant aux niveaux chorégraphiques que décoratifs continuent chaque fois de dépasser les attentes.
Vivement les prochains spectacles romantiques des Grands Ballets, en 2019-2020!
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