La série Half-Life en est une de retard. Retard temporel entre le moment de la sortie des différents jeux et celui où il fut possible de s’y aventurer, mais aussi retard technologique, alors que les aventures du docteur en physique théorique Gordon Freeman exigeaient toujours des capacités techniques qui n’étaient atteignables que quelques années plus tard, après l’achat d’un nouvel ordinateur. Quinze ans après sa sortie, Half-Life 2 demeure une référence incontestée en matière d’action, mais aussi de contemplation et de mélancolie.
Tout commence avec une expérience ratée. Ou, plutôt, tout commence avec un vieil ordinateur gagné lors d’une exposition. Un rutilant Pentium 200 mégahertz, avec 32 mégaoctets de mémoire vive et deux mégaoctets de mémoire vidéo. Un engin qui se démarquait légèrement de la typique boîte beige de l’époque, mais qui, en 1998, était déjà incapable de faire tourner un jeu aussi exigeant qu’Half-Life. Même la très courte version de démonstration n’affichait que quelques images par seconde; étrange miracle que celui qui permit au programme de s’installer correctement sans que le logiciel ne refuse carrément de se lancer.
En 2004, ce fut sensiblement la même chose: l’ordinateur de l’époque, payé 2000 $ peu de temps auparavant grâce à un généreux prêt paternel, et remboursé en travaillant comme caissier dans un supermarché, éprouvait lui aussi des difficultés à permettre à Half-Life 2, la suite des aventures de Gordon Freeman sur une Terre maintenant dévastée par les Combine, une race d’envahisseurs extraterrestres qui s’étaient emparés de la planète en à peine six heures pour ensuite asservir l’humanité, de rouler relativement aisément pour éviter que les écrans de chargement ne permettent plus de se lever de sa chaise et d’aller faire un tour aux toilettes ou de vaquer à d’autres occupations.
C’est pourtant ce qui arriva: s’il n’y avait plus aucun problème à s’échapper des laboratoires de Black Mesa et de vaincre les périls placés sur notre route, périls autant humains qu’extraterrestres, Half-Life 2 fut complété par à-coups, avec une résolution et une qualité graphique réduites. Rien pour nécessairement rendre l’expérience insupportable, mais le tout donnait encore une fois l’impression de participer à une expérience collective par la bande, sans véritablement communier avec les autres fidèles.
Il faudra donc attendre un nouveau changement d’appareil pour pleinement profiter de l’expérience Half-Life 2, pour pleinement apprécier ce chef-d’oeuvre développé par Valve, à l’époque où Valve tentait toujours de prouver que l’entreprise était révolutionnaire et savait créer des jeux intemporels. Et quel jeu! Débarqué dans un monde à la fois étrange et familier, le héros est immédiatement reconnu par les autorités et déclaré ennemi numéro un, à capturer ou abattre à tout prix. Pourquoi a-t-il disparu pendant une vingtaine d’années? Quelles sont les motivations du G-Man, cet homme en complet qui rôdait déjà dans les corridors de Black Mesa, dans Half-Life 1, en train de manigancer quelque plan mystérieux? Qui sont réellement les extraterrestre du Combine? Toutes ces questions demeureront sans réponse, mais dans sa quête, Freeman lèvera une partie du voile. Assez, en fait, pour ouvrir la voie aux épisodes 1 et 2, autant d’expansions qui ajouteront un peu de chair autour de l’os.
Un jeu mélancolique
Ce qui fait la force d’Half-Life 2, outre ses mécaniques que les développeurs tentent parfois de nous enfoncer quelque peu dans la gorge – on n’a qu’à penser aux casse-têtes impliquant des manipulations d’objets dans le nouvel engin graphique, Source, ou encore au concept d’alliés suivant aveuglément notre héros –, c’est le monde fantastique dans lequel on erre parfois comme une âme en peine.
Oui, bien sûr, il y a ces séquences d’action frénétiques, ces fusillades particulièrement intenses, mais il y a surtout une impression de lente décomposition, une langueur néfaste qui imprègne City 17 et ses environs. Les maisons tombent en ruine, les gens sont peu nombreux, malheureux et terrifiés. Par deux fois, on nous fait voyager qui dans un vieux canal servant d’égout à ciel ouvert et de décharge à matières radioactives, qui sur une autoroute désaffectée où grouillent zombies et mines téléguidées. Même lorsque l’on se croit enfin en sécurité, le répit est de courte durée, et l’on replonge dans l’horreur en découvrant une ville ravagée par des humains transformés en versions monstrueuses d’eux-mêmes.
Tout au long de la quête du héros, on s’interroge à savoir si cette humanité que l’on nous pousse à sauver à tout prix existe toujours. Que reste-t-il de la race humaine? Sommes-nous arrivés trop tard pour changer quoi que ce soit à une fin qui apparaît de plus en plus inéluctable?
Visuellement superbe pour l’époque, nouveau coup de maître d’un studio qui a trop rapidement laissé tomber le développement pour se concentrer sur la gestion de la plateforme Steam, Half-Life 2 est essentiel pour tout amateur de jeu de tir à la première personne qui se respecte. Il est seulement dommage que la saga ne connaîtra jamais de conclusion.
Half-Life 2
Développeur et éditeur: Valve
Plateformes: Windows, Xbox, Xbox 360, PlayStation 3, OS X, Linux, Android (joué sous Windows)
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