Il y a quelque chose de fascinant, mais aussi d’étrange dans Kiinalik: These Sharp Tools, une pièce de théâtre / performance scénique présentée jusqu’au 16 mars à l’Espace Libre. Deux heures après l’extinction des lumières, le public se relève un peu groggy, ébranlé par cette oeuvre qui sort de l’ordinaire.
Mariage des cultures, des influences et des identités, Kiinalik regroupe deux femmes que tout devrait pourtant séparer. Une artiste Inuit, Laakkuluk Williamson Bathory, d’abord, et une femme queer, Evalyn Parry. Le Nord et le Sud. Pourtant, toutes deux cherchent à défendre leur identité, à s’affirmer aux yeux du monde, à éviter d’être englouties dans le grand maelstrom beige de la conformité.
Lutte contre les diktats de la majorité, contre l’oppression, contre l’hétéronormativité ou encore résistance anticoloniale, Kiinalik est un cri du coeur, un appel au retour aux racines. Mais de quelles racines communes parle-t-on, quand l’une des artistes tient ses origines du détroit de Davis, entre l’extrême-nord du Nunavut et le Groenland, tandis que la deuxième comparse a vu le jour à Toronto? Existe-t-il une méta-identité, un rassemblement pan-canadien contre l’immobilisme intellectuel et social?
À travers tous ces questionnements, les deux artistes présentent un spectacle ambitieux. Peut-être un brin trop ambitieux, d’ailleurs, pour les besoins de la cause. Entre chanson, théâtre, interactions avec le public et moments contemplatifs, on s’y perd légèrement, tout en déplorant quelque peu le côté décousu de la chose et l’absence de véritable trame centrale. À preuve, ce fantastique segment où Mme Williamson Bathory se peint le visage en noir et interprète une danse à la fois « traditionnelle » et résolument contemporaine, où elle donne libre cours à un rituel représentant à la fois la mort, la violence, la peur, mais aussi la lubricité, le désir, l’expression de l’identité via les corps et la sensualité. Ce moment lourd de signification a provoqué force rires nerveux dans la salle, mais la symbolique derrière le geste de l’artiste était particulièrement prenante. Une fois cette séquence terminée, toutefois, alors que l’intérêt, l’excitation et la passion étaient à leur comble, le spectacle a préféré étiré légèrement la sauce plutôt que de prendre fin sur un coup d’éclat.
Ceci étant dit, Kiinalik: These Sharp Tools tente d’accomplir ce que peu de spectacles osent faire: tendre la main à l’autre, pas seulement au spectateur, mais plutôt à celui qui, installé dans les vastes territoires nordiques, est bien souvent laissé à lui-même, sans lien avec la société canadienne en général. À voir, ne serait-ce que pour sortir de sa zone de confort toute montréalaise.
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