La maison aux 67 langues, du dramaturge canadien Jonathan Garfinkel, le tout brillamment traduite par François Archambault, est une fable sublime et drôle sur un sujet délicat qu’on ne sait plus comment aborder.
À Jérusalem, dans une maison pour le moins atypique (elle parle!) vivent Shimon, un général de l’armée israélienne à la retraite et son fils Alex (recueilli bébé dans un panier d’osier qui flottait sur les eaux du Jourdain), ado d’une naïveté exquise, persuadé qu’il peut mettre fin au conflit israélo-palestinien par une Révolution du cunnilingus, mise au point à partir de ses recherches rigoureuses et fiables sur Wikipédia!
Leur quiétude sera bouleversée par l’arrivée d’un duo père-fille palestinien venu réclamer la maison où ont vécu leurs ancêtres. Abu Dalo, docteur en littérature, et Suha, fille rebelle et très en colère après la mort de sa mère tuée sous les bombes, ne sont pas au bout de leurs peines. Conflits et compromis sont au rendez-vous.
La prémisse est folle et improbable, mais donne lieu à une rencontre émouvante en territoire occupé. Avec beaucoup d’humour et un brin de folie, tout est permis, après tout! En parlant d’enjeux sérieux en les transportant vers la dérision, on réussit le pari d’une très jolie façon et on obtient de savoureux moments de fantaisie. S’agit de dédramatiser.
Au cœur de l’histoire, une maison qui parle (fabuleuse et vibrante Violette Chauveau) et un chameau tout aussi bavard (hilarant Frédéric Desager) murmurent des mots doux aux deux hommes qui se détestent mutuellement dans le but de les rapprocher. Leur mode séduction fera son œuvre. Petit à petit, les protagonistes s’apprivoiseront jusqu’à s’associer dans la rédaction des mémoires du général, laissant de côté leurs différends. Aux commandes de sa machine à écrire, l’auteur palestinien (Ariel Ifergan) écrira l’histoire de Shimon (Daniel Gadouas)… et du même coup un peu la sienne. Leurs échanges, parmi les plus délicieux de la pièce, déclenchent de nombreux rires.
Le charme de la maison et de son acolyte se fera également sentir sur les enfants de la nouvelle cellule. À force de se côtoyer, les deux adolescents (Gabriel Szabo et Mounia Zahzam, parfaits) s’enticheront l’un de l’autre et mettront en pratique les théories sur le sexe oral élaborées par le fils du militaire. Envoûtés et dévorés par la passion, ils se foutront éperdument de leurs parents et de leurs idéologies imposées et divergentes.
Tous sans faille, les comédiens évoluent dans un décor un peu chaotique, à l’image de la situation. Les meubles et objets éparpillés çà et là rappellent le fouillis dans lequel sont plongées (depuis trop longtemps) les deux nations ennemies. Mêlés à cette histoire absurde, Alice Pascual et Frédéric Desager, respectivement en tutrice désabusée et en clitoris (!), ajoutent une couche d’audace et d’intelligence à la pièce.
Dans La maison aux 67 langues, l’auteur met l’un en face de l’autre deux peuples qui, au final, sont subtilement assez semblables. On expose non seulement les tourments personnels, mais aussi la recherche de cohésion et d’harmonie. En faisant l’amour et pas la guerre, ces deux cœurs aux idées rivales arriveront-ils un jour à cohabiter paisiblement? Même si on peut en douter, la pièce laisse tout de même pénétrer un trait d’espoir.
Courez voir ce bijou présenté au Théâtre La Licorne jusqu’au 23 mars.
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