Alexis Lapointe, collaboration spéciale
Métier exigeant, le journalisme à la pige apparaît parfois comme une vocation de desperados. Au Congrès de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) les 23 et 24 novembre, la perspective d’une lutte pour la protection juridique de cette profession est venue susciter l’enthousiasme. S’agit-il d’une éclaircie pour le journalisme indépendant?
La défense du journalisme indépendant constitue depuis 30 ans la mission de l’Association des journalistes indépendants du Québec. Aujourd’hui, l’AJIQ évalue les perspectives d’intégration de la profession à la Loi sur le statut de l’artiste.
Pour les journalistes pigistes, il s’agit d’échapper à un vide juridique souvent coûteux. Grâce à cette stratégie, il devient possible d’obtenir certains gains concrets en matière de conditions de travail.
« La Loi sur le statut de l’artiste permet d’accéder à un statut juridique particulier pour le travail autonome, indique Simon Van Vliet, vice-président de l’AJIQ. Nous explorons en ce moment cette piste. »
Un travail culturel
Comme l’explique M. Van Vliet, les journalistes indépendants et les journalistes indépendantes espèrent obtenir des droits correspondant à ceux qui protègent déjà un grand nombre de pigistes. « Dans des contextes comme celui de la production d’un magazine, nous travaillons en tant que journalistes avec des photographes ou encore avec des infographes qui bénéficient du statut d’artiste professionnel, soulève-t-il au sujet du cadre de cette loi qui prévaut au Québec. Pourquoi n’y aurions-nous pas accès? »
En pratique, la Loi sur le statut de l’artiste assure des droits de représentation et de négociation à une association professionnelle. Un rôle que pourrait jouer l’AJIQ. Au terme du processus, l’association serait reconnue pour défendre les pigistes en journalisme auprès des entreprises de presse du Québec.
Ce statut professionnel favorise également l’accès aux avantages fiscaux permis pour les revenus de pige par la Loi sur le droit d’auteur. Ce qui se traduit par des déductions fiscales, complètes jusqu’à un certain seuil et dégressives par la suite. Alors, il s’agit d’obtenir un traitement équitable vis-à-vis d’autres milieux où se pratique le travail à la pige.
À ce sujet, Simon Van Vliet précise qu’une démarche entreprise à titre individuel par une personne membre de l’AJIQ porte peu à peu fruit auprès de Revenu Québec. Avant l’entrée en vigueur de modifications juridiques, le processus reste toutefois fragile et surtout fastidieux.
« Le journalisme constitue un travail culturel, dit M. Van Vliet. Nos productions peuvent être considérées comme des œuvres, au même titre que celles qui existent en création littéraire ou encore en photographie. »
Il s’agirait maintenant pour l’association d’entreprendre un travail juridique au plan de la Loi sur le statut de l’artiste. Un horizon accessible en 2019?
« C’est dans l’esprit de la loi, affirme Me Guylaine Bachand, avocate auprès des médias québécois. Je crois que c’est un chemin intéressant et ce qu’il implique essentiellement est d’ajouter la catégorie du journalisme indépendant à celles qui existent déjà. »
Selon Me Bachand, le droit de négocier auprès des entreprises de presse se révèlerait certainement déterminant. « Une association reconnue comme interlocutrice auprès des diffuseurs de contenus pourrait établir des contrats types, note-t-elle. Individuellement, chaque pigiste est beaucoup trop vulnérable. »
Ces contrats viseraient à hausser la rémunération et à améliorer les conditions de travail des pigistes. « Aujourd’hui, ce sont les entreprises de presse qui décident seules des tarifs, dit l’avocate. Il faut se défendre en groupe et pour être un groupe, il faut être reconnu par la Loi. »
Indépendance journalistique
Assurément, le travail sur le plan de la politique culturelle constitue une alternative à la lutte pour une juridiction exclusive au journalisme voire au journalisme indépendant. Cette orientation se révèle aussi davantage consensuelle. « On tient à l’indépendance vis-à-vis de l’État, relève Me Bachand, qui siégeait en 2017 à la Commission d’enquête sur la protection des sources journalistiques. Le journalisme représente une pratique organique en constant développement et cela exige beaucoup de prudence. »
Un propos qu’illustrent bien les tensions engendrées par l’annonce il y a quelques semaines de nouvelles mesures de soutien financier à la presse par le gouvernement fédéral. D’ailleurs, le débat à propos de la distribution de l’aide financière concerne directement le journalisme indépendant. Quelle place lui réserve-t-on?
« La reconnaissance du travail des pigistes est un enjeu vital, croit Réda Benkoula, journaliste indépendant et fondateur du journal L’Initiative. Le journalisme indépendant constitue déjà une lutte au quotidien. »
D’ailleurs, l’entrepreneur soulève que les médias doivent offrir des postes permanents pour être éligibles au programme d’aide à la presse écrite mis en place par le gouvernement du Québec en décembre 2017. « Ce sont des pigistes qui sont à l’origine de la plus grande partie du contenu des médias indépendants et des magazines, note Réda Benkoula. Notre travail est essentiel à l’exercice même du journalisme et par le fait même à l’exercice démocratique. »
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