Si l’hiver complètement absurde qui s’est abattu sur le Québec depuis l’automne dernier ne donne aucun signe de vouloir calmer ses ardeurs, l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), lui, n’a pas attendu Dame Nature pour tenter de sortir les amateurs de musique classique de leur léthargie hivernale en présentant, dimanche, le bien connu Sacre du printemps, de Stravinsky.
Qu’il neige, qu’il vente ou qu’il pleuve (ou un mélange des trois, pourquoi pas), la Maison symphonique est heureusement à l’abri des éléments, tout comme les musiciens de l’OSM. Voilà donc que l’on nous propose un programme triple, d’abord avec une mise en bouche de Debussy, puis un Lieder de Wagner, et enfin le fameux Sacre du printemps, oeuvre intemporelle de Stravinsky.
La proposition était audacieuse, d’autant plus que la pause dominicale est habituellement réservée aux tâches domestiques, à faire des courses… Bref, à tout sauf à l’écoute de musique classique.
Qu’à cela ne tienne, la troupe dirigée par maestro Nagano entame avec entrain Jeux, poème dansé de Debussy, une oeuvre potentiellement aussi éclatée que le classique de Stravinsky. Après tout, qui irait composer l’accompagnement musical d’un ballet portant sur un accident d’avion qui interrompt une partie de tennis? La proposition est déroutante, et la partition elle-même semble hésiter, tandis que l’on vogue entre incertitude et précipitation.
D’une mesure à l’autre, on fait monter la tension. Oubliés, cet accident d’avion et cette partie de tennis. On s’accroche maintenant aux accoudoirs de notre siège, dans l’attente de la conclusion inévitable de l’oeuvre. Conclusion qui sera délicate, discrète, mais tout autant appréciée.
Vint ensuite Richard Wagner et son chant lyrique. Magnifiquement interprété par la non moins superbe contralto Marie-Nicole Lemieux, ce Wesendonck-Lieder représente une union changeante entre la musique et le chant, entre la puissance de la voix de l’artiste et la fougue de l’orchestre, entre les variations chantées de Mme Lemieux et ces cuivres typiquement wagnériens.
La musique portait-elle la voix de la contralto? Ou était-ce plutôt le contraire? Tout ce que l’on sait, en fait, c’est que pendant une vingtaine de minutes, le public fut sous le charme de l’ensemble, et à juste titre, d’ailleurs.
Tempêtes à l’horizon
Après des applaudissements plus que mérités pour Mme Lemieux, c’était finalement l’heure du clou du spectacle. Ce fameux Sacre du printemps qui, lors de sa première représentation, avait poussé les spectateurs à l’émeute et forcé l’intervention de la police. Qu’à cela ne tienne, l’orchestre et les danseurs avaient continué de jouer sur scène, inflexibles.
Si le répertoire de la musique classique compte de très nombreuses pièces immortelles, peu d’oeuvres ont toujours la capacité, plus de 100 ans après leur création, de continuer de donner l’impression d’appartenir à une autre époque. En créant ce Sacre du printemps, Stravinsky y a injecté quelque chose d’intemporel, quelque chose qui continuera de détonner et de faire en sorte que la pièce sera extérieure à sa propre temporalité, qu’elle soit jouée en 1913, en 2019, ou probablement en 2254, s’il y a encore des gens pour la jouer (et l’entendre!).
Chaos! Violence! Fureur! Les ondes sonores s’écrasent sur les parois de la salle de concert avec la même violence que celle affichée par les éléments, à l’extérieur. Dans cette composition musicale relatant un rite païen, on retrouve les folles bourrasques de vent, la morsure du gel, voire l’impact lapidaire de la pluie verglaçante.
Qui sommes-nous, pauvres mortels, devant la colère des dieux? Qui sommes-nous devant cette Bête difforme, cette créature musicale vorace que l’on tente de mater avec les cordes, les bois? Qui sommes-nous devant cette tempête des percussions? Qui sommes-nous devant cette musicalité à l’état pur, ce sursaut primal?
Ah, il fallait le voir, cet enfant ravi qui gesticulait dans l’une des loges, à la vue de ce déchaînement musical. Impossible de savoir s’il s’agissait de son premier concert de musique classique, mais si tel était le cas, l’initiation fut certainement révélatrice.
Chapeau, donc, aux musiciens de l’OSM pour avoir su donner de nouveau vie à cette oeuvre géniale de Stravinsky. Rien de mieux pour ressortir légèrement groggy de la salle de concert.
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