La qualité de l’image est passable, au mieux: dans ces bandes tournées il y a une vingtaine d’années, impossible, toutefois, de ne pas y reconnaître celui dont le nom continue de défrayer la chronique et d’alimenter l’actualité internationale. Documentaire subtil mais néanmoins effrayant, Putin’s Witnesses raconte de façon inédite les premiers mois de la Russie sous Vladimir Poutine.
Filmée, puis montée et narrée par le cinéaste en exil Vitaly Manski, l’oeuvre découle d’abord d’une commande officielle: l’équipe du président, tout juste entré en fonctions après la démission de Boris Eltsine, à la fin de 1999, et déjà candidat en vue de sa réélection, trois mois plus tard, souhaite documenter cette période de transition et en tirer un document qui servira à renforcer l’image présidentielle de celui qui fut le sixième premier ministre du tout premier président russe.
Le résultat, présenté récemment au Cinéma du Parc dans le cadre de la série RIDM+ des Rencontres internationales du documentaire de Montréal, est un document historique aux allures d’OVNI du septième art. Qui pourrait imaginer un film similaire tourné en 2019? Après bientôt 20 ans au pouvoir – l’alternance avec Medvedev n’en étant franchement pas une –, il est absolument impensable que Vladimir Poutine laisse un cinéaste s’approcher de lui à ce point sans chercher à contrôler le contenu, et surtout le résultat.
Parlons-en, d’ailleurs, de ce résultat; après tout, le passé de Poutine comme patron du KGB n’est jamais bien loin, et on ne compte plus les opposants arrêtés ou jetés en prison, quand ils ne sont pas simplement assassinés. Cela vaut aussi pour les journalistes, ces empêcheurs de tourner en rond.
Voilà donc un homme cérébral, habitué à obtenir ce qu’il veut, et ce parfois en utilisant tous les moyens à sa disposition. Devant lui, un cinéaste un peu taquin, qui tente d’abord d’humaniser son sujet. Il faut voir ce regard de glace lancé par Poutine lorsque Manski lui demande, à la suite d’attentats terroristes quelques semaines avant son accession au pouvoir, si la fin justifie les moyens.
À mesure que le film progressera, une chose deviendra évidente, chose que l’on sait pertinemment aujourd’hui, après 20 ans de pouvoir sans partage, après l’intervention en Syrie, après l’invasion de l’Ukraine, après tant de discours autoritaires et d’élections « libres »: Vladimir Poutine est à toutes fins pratiques un tyran. Un tyran fragilisé, peut-être, par une grogne populaire qui en a plus qu’assez des démonstrations de force à l’étranger pendant que les infrastructures et le filet social soviétiques s’effritent au pays, mais un tyran malgré tout. Et ce film prouve hors de tout doute, images à l’appui, que le président russe savait exactement ce qu’il faisait, et ce depuis avant même le début officiel de son aventure à la tête du pays.
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