Après un très beau succès, les trois saisons de la télésérie québécoise Les Simone sont disponibles en DVD depuis un petit moment déjà. L’occasion idéale pour ceux l’ayant manqué en ondes ou sur Tou.TV de suivre en rafale les déboires tantôt cocasses tantôt dramatiques de ces femmes aux abords de la caricature forcée.
Il serait simple de déclarer que ce petit produit bien de chez-nous est la réponse québécoise à la série Girls de Lena Dunham et de reconnaître sa collaboration avec Judd Apatow dans l’entente que Kim Lévesque-Lizotte, auparavant seulement humoriste, a établi avec non seulement Louis Morissette, mais également Ricardo Trogi, tous deux se relevant à peine de leur succès suivant le problématique et controversé long-métrage Le mirage.
On comprend tout de même leur opportunisme d’avoir sauté à pieds joints dans un projet dit féministe pour ainsi tenter de se défaire des reproches de misogynie qui ont suivi leur projet précédent. On aurait également aimé plus que tout au monde que ce projet attendu serve de mea culpa et répare les torts, mais le résultat, donnant davantage dans la comédie dramatique simpliste plutôt que dans la réflexion approfondie, est un exemple assez frappant d’un regard dérangeant sur la gente féminine lorsque plusieurs têtes et, surtout, plusieurs visions, se télescopent.
Certes, on savoure cette place de première dame qu’Anne-Élisabeth Bossé mérite depuis son coup d’éclat dans Les amours imaginaires de Xavier Dolan, mais sans la plume mature et nuancée de Jean-François Rivard et François Létourneau, sa Maxim Lapierre parait rapidement plus nymphomane et névrosée que la danseuse de bar et escorte qu’était la Charlène de Série noire. De plus, en camouflant des réflexions masculines par le biais de personnages principaux uniquement féminins, on s’enlève toute possibilité d’équilibre, comme C.A. le permettait d’une certaine façon via son groupe d’amis composé à égalité d’hommes et de femmes de personnalités foncièrement différentes.
Oui, on croit rapidement à l’amitié qui unit ces trois filles, leur chimie réparant souvent l’inégalité de talent des actrices principales, mais les situations et les réalités qu’on les fait confronter ont l’équivalent d’un miroir de fête foraine tellement tout y semble déformé et que notre réalité semble toujours plus éloignée au fur et à mesure qu’on s’avance dans les sous-histoires accaparantes.
Bien sûr, cela permet de multiplier à la vitesse de l’éclair les cameo et les participations notables de comédiens et comédiennes de prestige alors que se bousculent les Paul Ahmarani, Valérie Blais, Christine Beaulieu, Jean-Sébastien Courchesne, Pierre-François Legendre, Julien Lacroix, Gabriel D’Almeida Freitas, Sandrine Bisson, Julien Hurteau, Normand Daneau, François-Xavier Dufour, Isabelle Vincent, David Savard, Marcel Leboeuf, Sébastien Ricard et on en passe.
Si la majorité joue plus ou moins des variations d’eux-mêmes ou de leurs rôles habituels, c’est certainement les géniaux Sylvie Potvin et Michel Barrette (constamment mésestimé et toujours trop rare sur nos écrans) qui s’en sortent le mieux, avec de loin les meilleurs moments de la série (difficile de ne pas penser à l’épisode de séparation temporaire ou celui du salon funéraire). Sauf que même là, leurs interprétations parviennent bien rarement à sauver la mise face au ridicule de l’ensemble.
Une autre réalité
Prise entre ses désirs féministes oscillant entre le burlesque de l’humour ou la tragédie du drame, le tout saupoudré de citations plaquées, majoritairement de Simone de Beauvoir pour donner une raison d’être au titre de la série, la télésérie divague dans l’absurdité de la vie pour en faire constamment ressortir le cocasse et maximiser les rires. Si c’est un peu moins évident d’en comprendre le concept dans la première saison qui essaie continuellement de garder son sérieux, convaincue qu’elle représente avec assurance un reflet convaincant de notre époque et de notre réalité, on laisse toutefois toujours plus l’humour l’emporter au fil des saisons, ce, jusqu’à la troisième et dernière saison qui n’est rien d’autre qu’une caricature de ce que la série a jadis été.
S’il y a bien un sens notable de la répartie et beaucoup de répliques savoureuses, il devient toutefois plus difficile d’adhérer aux revirements plus dramatiques lorsque ceux-ci font leur apparition, surtout lorsque l’on est presque assuré qu’ils seront tournés en dérision dans les épisodes subséquents. Le pire exemple est probablement le passage sur le consentement, plaqué jusque dans le titre de l’épisode, qui semble avoir été imposé sans aucune subtilité pour choquer, créer un dialogue aveugle et faire comprendre une réalité avec des dialogues dignes d’un pamphlet sur le sujet que se lancent les personnages principaux sans aucun naturel, histoire de surfer sur l’air du temps.
La série dose également difficilement la logique de ses protagonistes. En essayant de promouvoir et prioriser la liberté (générale et sexuelle), elle pousse constamment ses personnages dans des extrêmes sans nuances qui s’expliquent mal la dépendance et l’indifférence, entre l’importance d’avoir un « bon » gars pour se caser et tous ceux auxquelles elles font du mal ou de la peine sans le vouloir. On a beau essayer d’exploiter cette crise de la quarantaine avant l’heure, il est difficile de ne pas décrire ces personnages féminins d’une trentaine d’année comme agissant comme si elles étaient encore au point fort de leur adolescence et de leur immaturité.
Il y a également les milieux dans lesquels on tisse les personnages. Si Maxim tend vers la normalité (à condition d’oublier le virage politique plus ou moins justifié), outre son certain égoïsme généralisé quoique bien intentionné (sa crise de la prémisse rappelant à certains égards celle vécue dans Enlightened), difficile de se laisser convaincre entièrement par le milieu du show-biz qu’on tente d’illustrer via une espèce d’émule de Maripier Morin qui ne jure que par son nombre de followers sur Instagram ou de la fille de père bourgeois et célèbre qui tente plus ou moins de percer dans le monde des arts à sa manière. L’abondance de clichés, incluant le comic-relief homosexuel, la réalité du monde des escortes et les musiciens émergents, ne sont qu’une fine représentation des généralisations discutables de la série.
Ajoutons à cela la quatrième protagoniste officiellement non-officielle pour ajouter le poids de l’âge et de l’expérience (non moins confuse, cela étant dit), soit la sœur de Maxim qui a laissé tomber sa carrière pour être mère au foyer, même si la richesse de son mari lui permet d’avoir une femme de ménage ethnique et fourre-tout uniquement utilisée pour de l’humour facile et de circonstance.
On peut au moins se consoler d’avoir fait appel à Ariane Moffatt et Joseph Marchand au niveau de la musique, un choix des plus judicieux pour bien rythmer la série avec d’excellentes mélodies. Dommage toutefois que la répétition finit par gâcher un peu la sauce à force de ressasser ad nauseam les dix même thèmes musicaux à chaque épisode.
Il y a aussi l’apport considérable du collaborateur habituel de Trogi, soit son monteur Yvann Thibaudeau, qui permet d’éviter les temps morts, de laisser les pièces s’emboîter fluidement sans trop de mal et de même pratiquement mieux faire passer les excès de ralentis et de scènes fantasmées histoire d’imager les dialogues lorsqu’on croit, à tort, que l’imagination des spectateurs ne suffit pas.
Un coffret attendu, mais pas toujours pratique
Pour ce qui est du coffret en soi, on continue d’apprécier grandement qu’Unidisc a comme mandat de rendre disponible dans le format DVD la majorité des téléséries populaires de Radio-Canada. Certes, le coffret en soi ne casse rien. Les menus sont pixélisés, le dernier disque a des erreurs dans les photos qui représentent les épisodes, et la conception de l’organisation des disques est de loin l’une des pires créations depuis l’invention du DVD, tellement il est difficile d’insérer ou de sortir un disque sans l’abimer ou briser le boîtier. Les 39 épisodes de la série sont divisés par saison, en raison de deux disques par saison.
Il y a néanmoins deux types de piste audio, soit Stéréo 2.0 ou Dolby Digital 5.1 et la possibilité d’écouter les épisodes individuellement sur chaque disque ou en continu (même si l’extrait promotionnel demeure dans le générique de fin, suivant le canevas télévisuel de ICI Radio-Canada). On trouve également en bonus quatre segments d’environ cinq minutes qui consistent en des tables rondes impliquant plusieurs des artistes et artisans qui discutent avec un verre de vin de sujets entourant la série avec sa créatrice, comme le féminisme en 2016 ou la place des hommes dans la série.
Enfin, Les Simone est loin d’être la révolution qu’on a jusqu’à un certain point clamé. Compte tenu le pourcentage élevé de talent qu’on a réuni autant devant que derrière la caméra, il est difficile de dire que c’est une mauvaise série, même malgré l’urgence qui se ressent du pathétique épilogue en guise de conclusion. Seulement, il faut la ramener à la superficialité qu’elle nous régurgite au visage à chaque instant et prendre le tout comme un divertissement simpliste, régulièrement prévisible, qui a comme seul désir de nous faire vivre un torrent d’émotions sans aller au-delà. Et pour être diverti sans trop se casser la tête, si l’on oublie ses idéologies confuses et contradictoires, disons que le projet a certainement le potentiel de nous alléger le cerveau avant le dodo.
5/10
Le coffret de l’intégrale de Les Simone est disponible en DVD via Unidisc depuis le 4 décembre dernier.