La dernière création de Dimitris Papaioannou est à l’Usine C pour quelques jours à peine. Le créateur a d’abord été reconnu comme peintre et bédéiste, mais ce sont ses mises en scènes de performances vivantes qui ont fait voyager son nom aux quatre coins du globe. Si on ne peut généralement pas nier les origines en art visuel de Papaioannou dans les choix scénique qu’il propose, The Great Tamer est parsemé de références créatives; une véritable visite au musée.
L’œuvre a été imaginée pour répondre à un fait d’actualité: l’histoire tragique et évocatrice d’un jeune garçon persécuté qui s’est donné la mort et qu’on a retrouvé à moitié enfoui dans la terre boueuse. La citation « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » de Lavoisier nous rappelait à celle de la Genèse (« car tu es né poussière et tu retourneras dans la poussière ») et c’est ce même cycle éternel que Papaioannou semble excaver sous nos yeux. The Great Tamer («Le grand dompteur ») rend hommage à cette terrible créatrice qu’est la mort, implacablement liée à la vie. Les performeurs créent et détruisent, renaissent et meurent et de cette mort créent une nouvelle image qui apparait et s’évapore.
Le processus de « déterrer », de découvrir aussi, est imagé par autant de métaphores inventées et empruntées à la galerie de nos inconscients. Le festin de références est de toutes sortes: symboles empruntés à la mythologie, aux oeuvres classiques de grands peintres (Botticelli, Raphael, Greco, Rembrandt, Magritte, Kounellis), à la musique (la valse du Danube bleu de Johann Strauss II, adapté par Stephanos Droussiotis) et à l’Histoire.
Le spectacle se veut « sans début et sans fin » et les choix de mise en scène de Papaiaonnou nous le font bien sentir. Lenteur et répétitions signent le rythme de la pièce d’un peu moins de deux heures. Le tout est introspectif, sans être contemplatif. Il y a une nécessité d’investir l’œuvre de sens pour le public, d’y être actif.
On reconnait les corps de danseurs et d’artistes du cirque, dans les dispositions que le metteur en scène fait prendre aux interprètes, ceux-ci nous fascinent sans aucun doute. Acrobaties et jeux d’illusions s’ajoutent aux moments de grâce, qui sont suivis du chaos de la foule. Tout cela crée une ambiance unique et le résultat est un paysage de corps, beaucoup plus qu’une performance de chaque individu. Les arrêts sur image nous permettent d’apprécier les répétitions qui vont ensuite se superposer, s’entremêler et se répondre. Le regard en suspens d’un interprète vers le public rappelle parfois celui du clown qui cherche un témoin, parfois la lassitude des yeux peints qui ignorent être observés. Les corps sont au service de la scène, de telle manière qu’on a l’agréable sensation d’assister à une réelle scénographie vivante.
Cette distance entre les interprètes et le drame qu’ils transposent participe à la mélancolie qu’évoque la suite des tableaux. The Great Tamer s’adresse aux sens, mais ne crée pas d’envolée émotive. Même les images chargées, évocatrices de drame ou de beauté, refusent la prestation dramatique. Cette mobilisation perceptive et intellectuelle est entrecoupée de rires, de surprise, d’absorption de l’attention dans le détail d’un mouvement, calme et lent… On a l’impression de passer de longues minutes devant une toile, puis de parcourir une galerie entière à la dérobée, l’impression de ces longues journées au musée dont on sort plus éveillé que reposé.
The Great Tamer était de passage durant quelques jours à Montréal, à l’Usine C, durant sa tournée mondiale. Si vous n’avez pas eu la chance d’y assister, il faudra voyager ou attendre sa prochaine visite!
The Great Tamer est à l’Usine C jusqu’au 27 Janvier 2019.
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