En s’inspirant d’une légende locale de la région de Nice qu’il a transposée dans sa Belgique natale, Jean-Claude Servais livre une ode à la nature empreinte de sensualité et de mysticisme dans Le chalet bleu.
Coincée entre ses deux bêtas de frères qui passent leur temps à torturer des animaux et ses parents catholiques, Alice trouve son quotidien triste à mourir. Sa seule évasion consiste à fouiller la forêt avoisinante à la recherche de la fameuse Vallée aux loups où, d’après les légendes, la déesse Cybèle serait jadis tombée amoureuse d’un simple berger nommé Attis, et où son défunt grand-père aurait construit un chalet isolé à l’écart du monde. Au moment où le père d’Alice décide de l’envoyer à l’Institut de la Vierge fidèle à Bruxelles afin que les bonnes sœurs se chargent de son éducation, la jeune fille trouve enfin la cabine de son aïeul, cachée au cœur des bois, et elle s’enfuira de la maison, bien déterminée à ne plus jamais retourner dans cette civilisation à laquelle elle ne s’identifie pas.
Dépeignant les différentes périodes de l’existence sauvage d’Alice sous l’allégorie des saisons, Le chalet bleu se présente de prime abord comme une fable écologique aux odeurs de patchouli. Toutefois, en s’inspirant de l’interprétation qu’en faisait Bruno Bettelheim dans son incontournable Psychanalyse des contes de fées, Servais ajoute une dimension mythologique (et philosophique) à cette histoire d’amour entre une mortelle et un demi-dieu habitant la Vallée aux loups, et en utilisant la forêt pour refléter la vie intérieure de son héroïne, il transforme les bois en un lieu intemporel, sacré, où la lisière entre nature et surnaturel s’atténue au point de rendre possible la cohabitation des humains et du divin. Le résultat est un récit beaucoup plus complexe et profond qu’un simple conte à l’eau de rose.
Manifestement, Jean-Claude Servais a longtemps observé la nature, et il esquisse dans toute leur beauté les arbres enchevêtrés, les étangs où nagent les canards, les petits chemins de terre qui invitent à la promenade ou les bosquets de fleurs sauvages. Que ce soit dans le foisonnement estival ou le dénuement de l’hiver, ses illustrations reproduisent à merveille la majestuosité à la forêt. Il isole certains détails de ses paysages (comme un lapin pointant le nez hors de son terrier) et les mets en valeur en les superposant à l’image dans leur propre case. Servais injecte aussi une dose de fantaisie à son univers, en peuplant sa Vallée de lutins, de licornes et autres créatures fantasmagoriques, et l’impression sur de grandes pages de 310 mm par 237 mm donne littéralement envie de plonger dans ce splendide album.
Tout en constituant une lettre d’amour à la nature, Le chalet bleu ne plaira pas uniquement aux écologistes de ce monde, puisque ce conte de fées pour adultes nous convie à rien de moins qu’un voyage mystique au fil des saisons de la vie.
Le chalet bleu, de Jean-Claude Servais. Publié aux Éditions Dupuis, 92 pages.
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