Par cette scène surréelle avec une femme et un crocodile dans un film à énigme politique contemporaine mêlant transport et communication, le cinéaste Pierre Schoeller en avait étonné plus d’un. Après L’exercice de l’État (2011), il porte à l’écran le va-et-vient de la Révolution française de 1789 à 1793 avec Un peuple et son roi (2018), à l’affiche depuis le 18 janvier.
Dès le commencement, il faut comprendre que l’amplitude majestueuse des vues d’ensemble amplifiées de musique classique propre aux films historiques a cédé à une caméra plus près des personnages, des cadrages plus serrés et un découpage plus brutal. Cette façon de filmer et de monter plus actuelle garde le balayage de grands espaces pour des moments bien précis, dont la salle de bal déserte à Versailles et le chaos à la suite de l’insurrection. Le passé de l’histoire française, habituellement montré comme un ancrage lourd au grand écran, prend une tournure d’énigme politique dans laquelle les projecteurs sont rivés sur le peuple, puis sur la métamorphose du statut des parlementaires.
À la suite de la projection au cinéma Quartier latin, le professeur d’histoire du 18e siècle à l’UQAM, Pascal Bastien a commenté le film évoquant d’emblée que cette période de la Révolution française demeure un mystère. Parmi tous les films qu’il a vu sur l’événement, Un peuple et son roi est pour lui le plus fidèle à l’histoire. Il a aimé que le peuple ne soit pas représenté comme une masse indifférenciée et que chaque personnage incarne un des groupes qui le composait à l’époque. Il a tenu à mentionner que le cinéaste a fait des choix subjectifs dans son traitement de la période, mais que l’option de la multiplicité rend une certaine objectivité représentative, du moins à comparer aux autres films.
Le professeur Pascal Bastien n’a pas laissé passer quelques erreurs, dont cette scène où la démolition de la tour de la Bastille laisse percer les rayons du soleil éclairant la bourgade en bas et l’atelier du souffleur de verre. En fait, les révolutionnaires avaient tout brûlé autour alors cette scène symbolique où la lumière perce l’obscurité n’aurait pas été possible en réalité. Pierre Schoeller nous présente une série d’autres scènes iconiques. La naissance de l’enfant est coupée en deux tableaux: la femme qui prend le nouveau-né à la mère et la femme qui le montre à son père. Le cinéaste semble vouloir illustrer la transition de l’imaginaire teinté par la religion d’un peuple peu éduqué.
Le parallèle entre les délibérations et l’enseignement d’un savoir-faire d’un maître à son apprenti, nous renvoie à un autre niveau symbolique: un clin d’œil au personnage également joué par Olivier Gourmet dans le film Le fils (2002) des frères Dardenne. Cependant, il y a un risque à raconter une histoire en structurant autant un récit. Pour raconter la genèse d’Hollywood, la structure présentée par les frères Coen dans Hail, Ceasar! (2016) est omniprésente au point d’assécher le fil conducteur et de créer un effet neutre.
Dans Un peuple et son roi, c’est la béquille du mélodrame qui fait boiter le film à quelques moments. N’empêche que cette dose pathétique ne devrait pas déplaire aux amateurs de télé-séries.
Héroïsme et désacralisation
À la différence d’un film comme Braveheart (1995) de Mel Gibson, Pierre Schoeller évite de montrer la violence en détail afin de se concentrer sur l’héroïsme et les espérances de la révolution, a souligné le professeur Pascal Bastien.
Si la Révolution française demeure un mystère pour les historiens, les explications se trouvent peut-être ailleurs. Sans négliger l’influence de la philosophie des Lumières, de l’avènement des sciences et de la colonisation pour détrôner le pouvoir monarchique, une définition générique du contre-pouvoir est de mise.
«Ce à quoi il «s’oppose» est alors quelque chose de potentiel ou de latent- une possibilité dialectique si vous préférez- au sein même de la société», écrit l’anthropologue américain David Graeber.
Là, où le cinéaste innove c’est en montrant la définition de 1789 à 1793 de cette possibilité dialectique rendant sa condition de mortel au roi, représentant de Dieu sur Terre… fait de chair et d’os.
Un peuple et son roi (2018) de Pierre Schoeller, en salles depuis le 18 janvier.
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