Les médias canadiens chantent-ils Je t’aime, moi non plus aux géants du web? C’est ce qui semble ressortir du plus récent rapport de tendances publié lundi par le Fonds des médias du Canada (FMC).
Intitulé Rapport sur les tendances 2019 – On se prend la main, le document évoque une évidence dans le milieu: entre producteurs et diffuseurs de contenus, la relation est bien souvent houleuse, mais « si la lune de miel avec la Silicon Valley est bel et bien terminée, ses lendemains recèlent néanmoins une nouvelle lucidité dans l’utilisation de ses technologies », écrit l’auteure du document, Catherine Mathys, directrice de la veille au FMC, et elle-même ancienne journaliste.
Quelques chiffres
Malgré le rythme apparemment effréné des innovations technologiques, les Canadiens semblent d’ailleurs tenir à leurs habitudes de consommation de contenus. Il s’écoute ainsi sensiblement le même nombre d’heures de télévision par semaine, chez les 16 à 64 ans, entre 2015 et 2018. Si l’on constate une légère augmentation en ce qui concerne l’écoute de cette télévision en ligne, de 5,7 à 7,6 heures par semaine, et une légère baisse pour la télévision traditionnelle, de 17,5 heures à 15,8 pendant la même période, le bon vieux petit écran a toujours de beaux jours devant lui.
Du côté du nombre d’heures passées en ligne, la tendance est sans surprise haussière: de 38,5 heures en 2015 sur ordinateur, tablette et téléphone combinés, le total est passé à 40,5 heures l’an dernier. La croissance est un peu plus marquée en ce qui concerne les téléphones uniquement, avec un gain de cinq heures par semaine entre les mêmes deux années de référence. Alors que l’on a brièvement pensé que les tablettes allaient forcer la lente érosion du marché des téléphones intelligents, les données prouvent que les petits appareils transportables aisément ont un avantage indéniable sur les grands gadgets moins maniables et faciles d’utilisation.
Chez les fournisseurs de contenus en ligne, Netflix domine très largement la concurrence, avec environ 60% des parts de marché au pays. Suivent ensuite iTunes, Amazon Prime Video, Google Play et Crave TV. L’offre du diffuseur public, Tou.tv, n’obtient que 4% de parts de marché, selon les données du FMC.
L’ordinateur créateur
Le contenu sur plateformes et appareils numériques a la cote, certes, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres en ce qui concerne le contenu créé par des instances numériques, note le FMC, qui indique cependant que ces expérimentations semblent avoir le vent dans les voiles.
Ainsi, la première toile « peinte » par un algorithme s’est vendue à prix d’or, mais les films « tournés » par des ordinateurs n’ont pas encore fait mouche. De fait, les créateurs chercheraient plutôt à « augmenter » leurs capacités, plutôt qu’à se laisser carrément par des ordinateurs, souligne le rapport. Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques? Quoiqu’il en soit, si les machines peuvent rêver, elles semblent incapables, pour l’instant, de transposer cette capacité à transcender le réel en des oeuvres artistiques réellement portantes.
C’est peut-être du côté de la baladodiffusion que l’intelligence artificielle pourrait trouver un débouché plus concret. On a ainsi créé Sheldon County, un balado procédural généré par ordinateur, qui permettrait théoriquement de créer autant de déclinaison du scénario qu’il n’existe d’auditeurs de la série. Là encore, cependant, il est plutôt question d’adaptation de matière brute on ne peut plus humaine que de véritable création entièrement artificielle. N’est-ce d’ailleurs pas le cas de l’ensemble des algorithmes et autres processus d’apprentissage machine, tous basés sur les connaissances et les codes humains?
Technologie toxique?
Collaboration avec les ordinateurs ou non, le Canadien moyen est toujours à la recherche de son bien-être, parfois, paradoxalement, en utilisant la technologie pour se plaindre de… la technologie. Le temps passé devant les écrans est ainsi pris à partie pour expliquer divers maux: fatigue, nausée, maux de tête, problèmes oculaires. Chez les Américains et Britanniques de moins de 35 ans, ils sont 57% à estimer que leur utilisation de leur téléphone intelligent nuit à leur santé et leur bien-être, dévoile une étude.
Le rapport du FMC souligne également que le concept de « détox numérique » gagne des partisans. Une personne sur cinq aurait ainsi procédé à un « grand débranchage » pour se refaire une santé physique comme numérique. Et jusqu’à 70% des répondants à cette même enquête parlent plutôt de tentative de réduction des heures d’utilisation, sans toutefois se sevrer carrément.
Les jeunes Canadiens seront-ils les malades numériques de demain? Une étude du Pew Research Center indique que près de 95% des adolescents possèdent un téléphone intelligent ou ont accès à un appareil du genre. Ce sont près de 45% des jeunes qui disent être constamment connectés. Plus de la moitié (52%) de ces mêmes adolescents ont pris des mesures pour réduire leur utilisation.
Éthique, santé, protection de la vie privée, préservation des contacts directs avec ses proches… Les écueils se multiplient pour les grands noms des technologies et pour les médias qui tentent de diversifier leurs canaux de diffusion pour rejoindre davantage de lecteurs, de téléspectateurs et d’auditeurs. Récemment, le New York Times annonçait le lancement de contenus spécialement conçus pour les assistants vocaux domestiques du géant de la vente en ligne Amazon. Une occasion idéale pour rejoindre les millions d’Américains (et de Canadiens) qui se sont procuré un tel appareil.
Parallèlement, le mouvement de contestation de ces gadgets, qui sont constamment à l’écoute des conversations dans les foyers, sont reliés à internet et ont déjà prouvé qu’ils pouvaient retransmettre par erreur des conversations personnelles à des tiers, prend de l’ampleur.
L’année 2019 sera-t-elle celle de l’affrontement entre l’utilité apparente des appareils connectés, autant pour le public que pour les diffuseurs, médias compris, et les impacts négatifs que ces mêmes appareils et objets entraînent? Le Fonds des médias du Canada évoque une volonté propre des entreprises de s’astreindre elles-mêmes à des normes sévères en matière de respect de la vie privée. Reste à savoir si cela sera suffisant, et si les autres effets potentiellement négatifs des percées de la Silicon Valley seront contrés par de nouvelles solutions.
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