Après avoir passé des années à divertir ses spectateurs, Adam McKay a soudain eu envie d’instruire. Et si ce fascinant complément à son déjà admirable The Big Short ne prêche pas par subtilité, il n’en demeure pas moins aussi fascinant que terrifiant. Sans être révolutionnaire, Vice devient alors rapidement rien de moins qu’essentiel pour mieux comprendre les tourments contemporains.
Ceux qui croient que les ambitions plus politisées et historiques de McKay sont apparues du jour au lendemain ont tort. Lentement, mais sûrement, si l’on se concentre bien sur sa filmographie, on sent un désir plus sérieux de dénoncer et d’éclairer plusieurs cas singuliers de notre réalité. On l’a dit précédemment, le monde de la bourse en a pris pour son rhume dans les rouages hautement absurdes de son délirant The Other Guys, et le mésestimé Anchorman 2 : The Legend Continues multipliait un nombre impressionnant de réflexions sociales et culturelles.
De retour avec son style grandement emprunté aux Scorsese de ce monde, et y amenant une dimension plus épique et familiale, comme on la retrouve dans la succulente télésérie Succession à laquelle il collabore, McKay utilise l’humour – qu’il soit tranchant, mordant ou décapant – pour mieux faire passer l’importance de ce qu’il l’intéresse, mais aussi pour mieux garder l’attention de ses spectateurs et plus fluidement faire passer ses messages.
S’entourant encore d’une armada épatante de comédiens, tous au meilleur de leur forme, McKay permet ainsi d’offrir une tribune à des salauds qui n’en méritent pas. Au mieux, Vice devient rapidement l’adaptation la plus inconcevable au grand écran de la télésérie House of Cards, alors que le réalisateur a sans mal mis le doigt sur la variation la plus près des Underwood qu’on puisse imaginer, alors que tous ont toujours préféré les comparer aux Clinton. Devant cette histoire malicieuse, d’ascension et de quête infinie du pouvoir, McKay s’intéresse à un fantôme de l’ombre qui a tout orchestré à ses propres fins, amenant à sa perte la réalité de demain et, bien évidemment, celle d’aujourd’hui.
Il devient alors fascinant de le voir ironiquement utiliser ses personnages comme des pantins, de se donner le pouvoir créatif que ceux qui l’intéressent se sont attribué, politiquement parlant. Avec l’indéniable chimie liant Amy Adams à Christian Bale, un couple de malfrats qu’on avait vu auparavant dans American Hustle, tous deux aussi dévoués et excellents qu’à l’habitude, on se surprend sans mal à les trouver sympathiques, à s’exciter ou se décevoir de leurs réussites ou leurs défaites.
De nombreuses surprises techniques et narratives empêchent la proposition de stagner. On pense notamment à l’utilisation ingénieuse du toujours surprenant Jesse Plemons en narrateur omniscient énigmatique. Ces tours de passe-passe purement cinématographiques évitent ainsi de réduire la proposition à ses allures de cours 101 pour expliquer le désastre politique américain que le film peut par moment donner l’impression d’être, comme certains segments ont des allures de Power Point face aux excès de montage amateur carburant aux métaphores faciles et aux liens subliminaux.
Tout l’inverse, donc, de la façon dont il juxtaposait dans The Big Short la banalité du quotidien aux atrocités financières qui se déroulaient en parallèle, grâce à un montage détonnant plus songé, mais également plus corrosif.
Et s’il y a encore une belle panoplie de petits rôles et clins d’oeil, beaucoup plus intéressants que la Margot Robbie de son film précédent, le réalisateur complète ici une distribution qui lui permet de renouer encore et encore avec le délirant Steve Carell, mais aussi de métamorphoser et ridiculiser sans mal les nombreux Sam Rockwell et Tyler Perry, à qui il fait appel.
Sa collaboration avec le compositeur Nicholas Britell est également à souligner, lui qui pousse à nouveaux ses mélodies dans de multiples directions, transformant le film en un véritable caméléon d’idées tourbillonnantes et bouillantes d’un désir de justice qui ne se matérialisera jamais.
La colère de McKay est ainsi palpable partout et si le produit peu en sortir précipité par cette frustration accumulée, le travail est pourtant tout sauf catapulté. La recherche est épatante et l’exécution pleinement excitante, démontrant le travail volontairement brouillon, quoique étrangement calculé d’un homme qui a décidément de la suite dans ses idées. Vice est à voir absolument pour quiconque a envie de s’intéresser à ce qui est difficile à s’avouer.
8/10
Vice prend l’affiche le jour de Noël.