En partageant ses souvenirs avec beaucoup de générosité, le dessinateur de presse et caricaturiste Luz nous donne un accès privilégié à la salle de rédaction de Charlie Hebdo, avec la bande dessinée Indélébiles.
À l’âge de 21 ans, Luz débarque à Paris dans l’espoir de trouver un emploi de dessinateur. Devant l’édifice du Canard enchaîné, il fait une rencontre des plus déterminantes, celle de Cabu, l’homme qui deviendra son mentor et qui l’aiguillera vers La Grosse Bertha, où il fera ses premières armes avant de quitter avec une dizaine de ses collègues pour fonder Charlie Hebdo. Avec Indélébiles, Luz nous plonge comme jamais auparavant dans les coulisses du journal satirique, et lève le voile sur les réunions éditoriales pour trouver la meilleure façon d’aborder les sujets d’actualité délicats, le processus de sélection des unes, ou la frénésie des « bouclages », tout en rendant un hommage vibrant à ses collègues dont Charb l’éternel farceur, Gébé, la cigarette toujours clouée au bec, et évidemment Cabu, figure centrale de ce roman graphique.
Luz se confie avec une honnêteté désarmante dans Indélébiles, et s’il explique la genèse de certaines de ses caricatures les plus connues et raconte sa première une ou les détails de sa tournée avec Renaud en Yougoslavie, il n’hésite pas non plus à se montrer sous un jour moins reluisant, et va jusqu’à se dessiner en train de s’autogratifier. L’humour est généralement grinçant, surtout dans l’épisode où il relate une séance de dédicaces particulièrement trash au festival d’Angoulême, mais l’album permet aussi de constater l’évolution du métier, de la difficulté de trouver la photo d’une personne pour la caricaturer avant l’Internet jusqu’à l’arrivée du dessin sans papier ni crayon avec la tablette électronique. Bien qu’ils soient gravés à jamais dans nos mémoires, les tragiques événements du 7 janvier 2015 ne viennent pas assombrir cette lettre d’amour à Charlie Hebdo, et c’est tant mieux.
Fort de ses nombreuses années d’expérience, Luz parvient, en quelques traits seulement, à capturer l’essence même d’une scène ou d’une personne, et si ses dessins peuvent sembler simples à première vue, ses paysages parisiens, ses métros bondés ou ses salles de rédaction aux tables encombrées de revues, de bouffe et de cendriers, regorgent de fins détails qui méritent qu’on s’y attarde. Il reproduit à sa manière des couvertures de VSD, de La Grosse Bertha ou de Charlie Hebdo, et imitant le style de Matt Groening, il condense un épisode complet des Simpsons (celui avec le poisson Fugu) sur une seule page. Principalement imprimé en noir et blanc, l’album compte quelques illustrations couleur, qui semblent effectuées à la peinture à l’eau et au feutre, et se termine sur une annexe approfondissant quelques références historiques du récit.
La tranche d’Histoire racontée ici est si passionnante (et hilarante) qu’il n’est même pas nécessaire de connaître Luz pour l’apprécier, et Indélébiles est l’une de ces rares biographies qui se lit avec un large sourire cloué au visage.
Indélébiles, de Luz. Publié aux Éditions Futuropolis, 320 pages.
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