Rires, tendresse, poésie, mélancolie, philosophie de la vie, tout est là dans Première neige, un spectacle magnifique créé par la compagnie Elvis Alatac d’après une nouvelle de Guy de Maupassant.
Spécialisée dans le théâtre d’objets, la compagnie qui se produit dans le cadre du festival Les Casteliers au théâtre aux Écuries à Montréal déploie tout son talent dans un spectacle dense et incroyablement créatif, où on a le goût à la fois de rire et de pleurer, tant il est touchant, intelligent et bien réalisé.
Sur la scène, un couple d’acteurs souhaite la bienvenue aux spectateurs qui s’installent dans la salle. Les deux semblent nerveux, intimidés; ils ont le trac. C’est que, prétendent-ils, ils vont nous présenter un spectacle qui ne nous était pas réellement destiné, quelque chose qu’ils ont conçu en amateurs, pour eux et leur cercle d’intimes, pour faire face à une épreuve qu’ils ont dû traverser dans leur couple. Nouvellement installés dans une grande maison à la campagne, loin de la ville où ils vivaient jusqu’alors, voilà qu’une visite chez le médecin leur a appris qu’ils ne pourraient pas avoir d’enfant… Tout sourire pour ne pas pleurer, ils ont avalé cette annonce comme on avale une grosse pilule amère.
Dans Première neige, une nouvelle de quelques pages seulement de Guy de Maupassant, la Parisienne gaie et heureuse de vivre – son nom n’est jamais mentionné alors qu’elle en est l’héroïne – reçoit elle aussi la même annonce navrante. Mais dans son cas, alors qu’elle a déjà dû supporter un mariage arrangé avec un homme agréable au début mais assez vite distant, une vie en Normandie loin du Paris qu’elle aime, la mort brutale de ses deux parents, c’est juste un calorifère qu’elle souhaiterait que son mari lui offre pour la réchauffer dans la grande maison remplie de courants d’air où elle passe tous ses hivers depuis qu’elle l’a épousé. Avec un calorifère, elle pourrait sans doute supporter la vie qui est la sienne, une vie de pas grand-chose, deux chiens dont elle s’occupe, une maison trop grande, la Normandie où il ne se passe rien avec un climat difficile en hiver et si différent du ciel bleu, si bleu de Cannes et de la Côte d’Azur.
Ainsi, les deux acteurs performeurs, dans une mise en abyme entre leur vécu et celui de la Parisienne, amplifient la nouvelle de Maupassant en la transformant un peu, et la mettent en scène en nous la faisant voir et entendre dans tous ses infimes détails à l’aide de mille objets, la plupart issus de ceux que tout le monde possède à la maison : une râpe à fromage, une bouteille de plastique tordue, des boites à musique, des petits jouets ordinaires, des verres, de l’eau… Tout est rendu de manière incroyablement vivante, drôle, réaliste. Le mariage est interprété par les deux acteurs, l’un jouant le rôle du prêtre, l’autre celui de la mariée. Une caméra filme aussi en direct des images du Paris du XIXe siècle de Maupassant avec la Parisienne au retour de sa visite chez le médecin, le cauchemar qu’elle a lorsqu’elle s’assoupit dans le wagon du train en retournant chez elle… Certains moments sont saisissants de réalité, d’autres d’une extrême drôlerie, le tout est traversé par une émotion tendre et subtile.
Comme souvent chez Maupassant, la conclusion est très amère, vraiment triste alors qu’elle se prétend heureuse. On la connait d’ailleurs dès le début de l’histoire qui se déroule sous le ciel bleu, si bleu de Cannes où la Parisienne se sent paradoxalement très heureuse.
Première neige, du 28 au 30 novembre 2018, au théâtre aux Écuries à Montréal
Mise en scène et idée originale: Pier Porcheron et Maia Commere
Interprétation: Marion Lubat et Pier Porcheron
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