C’est l’un des plus importants rapports sur le climat qu’ait produit le gouvernement américain, depuis plusieurs années. Mais ce gouvernement a choisi de le publier pendant l’un des plus importants congés fériés de l’année aux États-Unis. Comme s’il avait voulu lui assurer le moins de visibilité possible.
« Un grave avertissement sur le climat, enterré le vendredi noir », titre le magazine The Atlantic — Black Friday étant une référence à cette journée de magasinage la plus frénétique de l’année aux États-Unis, au lendemain de leur fête nationale de l’Action de grâces (Thanksgiving Day).
Le rapport ne dit pourtant rien de révolutionnaire: les changements climatiques auront un impact transformateur sur toutes les régions du pays, imposeront un fardeau économique à la nation, mettront en péril la santé de millions de personnes, et remettront en question jusqu’au « mode de vie américain ».
C’est dans le luxe de détails qu’il se distingue. À la fin du siècle, si la tendance actuelle se maintient, la facture économique pourrait s’élever à 500 milliards par an, en infrastructures à reconstruire, en réserves d’eau perdues — par exemple, dans le bassin du fleuve Colorado — en zones côtières à évacuer, en dégâts infligés à l’agriculture ou aux forêts — plus vulnérables aux incendies, comme en Californie en ce moment — ou en hospitalisations — par exemple, à cause de la progression de la maladie de Lyme. L’impact sur la santé pourrait se mesurer en milliers de morts évitables par an. Et certains des impacts sur les écosystèmes se mesureront en milliers d’années.
Ces conclusions ont beau aller à l’encontre des politiques de déréglementation environnementale à l’œuvre dans l’administration Trump, celle-ci n’avait pas le choix de rendre le rapport public: il relève d’une loi votée en 1990 (Global Change Research Act), qui impose la publication d’une mise à jour de « l’évaluation nationale du climat » tous les quatre ans. Ce National Climate Assessment, quatrième édition, est endossé par 10 agences gouvernementales, en plus de la NASA, de l’Agence des océans et de l’atmosphère (NOAA) et du ministère de la Défense.
Le document publié discrètement vendredi après-midi, lourd de 1650 pages, est le résultat du travail de plus de 300 scientifiques à l’emploi du gouvernement, des universités et du monde des affaires. C’est une revue de la littérature scientifique, en particulier des milliers d’études parues depuis 2014-2015 — date de la troisième édition. Et c’est en fait le deuxième volume de cette 4e édition: le premier volume, sur l’état des connaissances sur la science du climat, avait été publié il y a 12 mois.
Même les auteurs semblaient ignorer, jusqu’à la veille, qu’il sortirait pendant le congé. Initialement, il devait paraître en décembre, pendant le congrès de l’Union géophysique américaine. Interrogé par The Atlantic, le biologiste John Bruno a déclaré qu’aucune explication ne lui avait été donnée. « La direction a laissé entendre que l’horaire était dicté par une autre entité mais n’ont pas dit qui. »
La Maison-Blanche, que plusieurs soupçonnent d’être cette « autre entité », a tenté, par la voix d’une porte-parole, d’atténuer l’importance du rapport, alléguant qu’il était « largement basé sur les plus extrêmes scénarios ». La climatologue Katharine Hayhoe, elle-même d’allégeance conservatrice et chrétienne évangélique, a rejeté cette interprétation: « J’ai moi-même écrit le chapitre des scénarios, alors je peux confirmer qu’il prend en considération tous les scénarios, depuis ceux où nous devenons carboneutres avant la fin du siècle jusqu’à ceux où les émissions de carbone continuent de grimper. »
Évidemment, ces dégâts ne sont pas tous irréversibles. Bien qu’une partie du réchauffement le soit bel et bien (même si les humains cessaient immédiatement d’émettre des gaz à effet de serre, la température moyenne de la planète continuerait d’augmenter de 0,3 degré Celsius), l’ampleur des impacts de la fin du siècle dépendra des priorités politiques de notre époque.
Ceci dit, il n’est pas impossible que la tentative de dissimulation se soit retournée contre la Maison-Blanche. Le magazine Gizmodo notait dimanche que, pour une nouvelle sur les changements climatiques, celle-ci a eu droit à une attention supérieure à la moyenne de la part des médias américains — le fait que ce soit une fin de semaine traditionnellement pauvre en nouvelles a pu y contribuer, de même que le fait que ce rapport parle d’impacts qui, cette fois, vont toucher les Américains directement chez eux.